Chiraz Yazd et le début de route pour Ispahan

par Rayane Chraiti et Philippine Coutau · 05.04.2019

Entre mille voitures toutes semblables et suivant les prescriptions d'un code de la route qui leur est tout à fait propre, nous sortons de Shiraz. 

On s'arrête dans une station-service pour remplir notre réchaud à essence. Alors que nous attendons notre benzine devant la pompe, plusieurs curieux s'approchent de nous, pliés en deux, scrutant nos bécanes. Perplexes, ils nous demandent: "Motor, motor, where is the motor?" Puis éclatent de rire. 

Norrouz approche, nettoyage de printemps. Sur le bord de la route, un panneau qu'on déchiffre doucement indique karouash - car wash ! Pour la nouvelle année, même les camions se refont une beauté au kärcher dans les garages tout au long du chemin.

 

Tendrement accueillies par Mohammed et sa famille pour la nuit, on passe la soirée à effeuiller des sabzi, monter des rideaux et jouer du violon en rigolant avec la petite Yasna aux sourcils d'oiseaux. 

A minuit, elle arrive avec trois bougies. On chante "tavalod et mubarak": c'est son anniversaire. 

En pleine visite de Persépolis, nous croisons un guide rencontré quelques jours auparavant sur une place de Shiraz. Il nous avait exposé pendant une demi-heure les helvétismes dans la langue française et nous avait raconté que son grand-père avait serré la main de Bourghiba. Entre deux ruines, il interrompt notre guide dans un français parfait: "Remarquez, ce zizi finement taillé!" En désignant un bas-relief datant de plus de 2500 ans. 

Au bord de l'autoroute, nous trouvons un petit restaurant alors que le soleil se couche doucement. Nous demandons si c'est ouvert et une dizaine de personnes débarquent pour nous informer en langue des signes, anglais et farsi que le restaurant est fermé. Pendant qu'ils s'affairent à nous le faire comprendre, un concile quasi silencieux s'organise entre eux. Le restaurant ouvrira pour nous ce soir. 

Après avoir conclu que nous passerons la nuit ici, le gérant du restaurant saisit une grosse lampe torche et nous invite à le suivre dans la nuit. Très peu confiantes, nous le suivons sur le bord de l'autoroute. 

Quelques mètres plus loin, on s'illumine. Des centaines d'Iraniens sont garés sur le côté, les quatre portes des voitures ouvertes, musique à fond, tous dansent, chantent autour des feux. Des pétards éclatent et certains font tournoyer des braises au bout d'une tige - des tourbillons d'étincelles dans la nuit. C'est le Chaharshanbe Suri, la veille du Norrouz. 

Quand on revient au restaurant, toute la famille est arrivée. Il est 22h. Une femme nous prend par la main comme si nous étions de vieille copines et court en riant avec nous aux toilettes. 

En découvrant que je m'appelle Rayane, Zohra qui a donné le même prénom à son fils, nous adopte définitivement. 

Avec elle, ses nièces, fils, sœurs, cousins, frères, grand-mère, nous dansons avec des mouchoirs et sautons dans le feu pour chasser tout ce qui est mauvais. 

A Arsanjan, dans un hôtel des plus miteux, nous sommes couchées dans notre lit, lumière éteinte et nous nous apprêtons à nous endormir. Il est 23h30, on toque à la porte. Intriguées, nous remettons vite nos foulards avant d'ouvrir. Un homme au grand sourire nous tend dans un douteux mélange de farsi et d'allemand un gigantesque "kabab" emballé dans du pain. Il nous dit bonne nuit et s'en va aussitôt dans un "tchüss" précipité. 

Légèrement interloquées, assises par terre sur le tapis déjà brûlé, nous dégustons notre viande de minuit. 

Vallées après vallées, les mondes se succèdent à la vitesse de nos roues. On traverse un canyon, on survole d'immenses plateaux comme des vergers, des arbres sous lesquels des familles ramassent des champignons, au loin les montagnes enneigées. Piste de terre rouge parmi les bosquets d'épines, parfois des chèvres paissent. On glisse dans l'immensité de décors sauvages. 

Soltan Abad, première nuit de camping, on allume sans explosion le réchaud à essence, on réussit même à cuire notre riz. 

On s'endort sous la tente en se demandant comment ce voyage nous changera. 

À Yazd, nos habits fraîchement lavés, on se prend pour des princesses orientales, allongées sur des tapis en fumant une chicha sur un toit avec vue "unique". 

Une flamme brûle depuis l'an 470 dans un temple zoroastrien de la ville. Nous l'apercevons de loin, le temps d'une photo. Le temple est bondé de touristes iraniens en vacances. 

Des inondations dans le pays retardent notre départ vers Ispahan. 

On découvre ce que cela fait d'être une star. Les iraniens s'arrêtent en voiture à côté de nous pour prendre des selfies en famille, en montée, en descente, dans des villages, au bazar, au hammam, à la mosquée... "Comment trouvez-vous l'Iran?", "Is the food delicious?" 

Après un karaoké persan entre les montagnes du désert avec des touristes téhéranais, on repart tôt pour traverser des étendues lunaires, montagnes violettes et bleues se fondent dans la brume. Du rien sur des kilomètres, une piste infinie de sable et de cailloux qui les traverse. 

Au milieu des plaines désertes, un caravansérail tombe en ruines. Plus loin, une montagne noire surplombe un lac de sel. 

Varzaneh, ville du tchador blanc, on s'y retrouve bloquées par une tempête de sable. Pour se consoler, nous dévalisons tous les biscuits d'une pâtisserie et achetons un demi-litre de dough. Bon pour le sommeil, cela fait baisser la pression artérielle selon une amie de Téhéran. 

Demain, nous nous levons tôt, 113 kilomètres nous attendent pour rallier Ispahan. 

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