Taleqani Street, No. 1727 District 6 Tehran

par Elias Giudici et Michael Gowen · 25.11.2019

Nous venions d’arriver à Téhéran la première fois que nous sommes passés par Taleqani Street. À bord d’une voiture, nous arrivions dans le centre animé et chaotique de la capitale iranienne, quand on nous a indiqué un
bâtiment sur notre droite. Une vieille propriété, entourée d’un mur de quelques mètres de hauteur. Sur le mur, des peintures ne peuvent que retenir le regard de ceux qui passent. On nous a expliqué que c’était autrefois l’ambassade américaine.

C’est un lieu important, autant de l’Histoire iranienne que de celle américaine depuis 1979; lorsqu’elle fut prise d’assaut par une foule de centaines d’individus. Cette année a été marquée par la chute des Palhavi et de
la monarchie en Iran. Nous voulons y retourner, voir cela de plus près avant de partir plus au sud.

Quelques jours plus tard nous sommes dans les rues de Téhéran, accompagnés d’un couple d’étudiants, à la tombée de la nuit automnale. Le repas – dans un restaurant vegan, chose rare en Iran - et les visites de musées étaient de bons moments; nous avons beaucoup ri.

Alors que nous nous dirigeons vers le métro, nous nous retrouvons face à l’ex-ambassade américaine. C’est l’occasion de l’observer de plus attentivement. Les peintures à la gloire de la décadence américaine ornant les
murs sont captivantes, malgré l’hyperbole repoussante des vices de l’Amérique proposée par le régime. Les fantasmes fanatiques de la République Islamique autour du “Grand Satan” sautent aux yeux à tel point que l’on oublie pendant un instant l’ingérence des américains en Iran. Une conduite irresponsable qui a contribué à mener au pouvoir un nouveau régime destructeur pour son propre peuple. Si on peut reprocher bien des faits aux Occidentaux dans l’histoire iranienne, ces fresques sont là pour créer un bouc émissaire aux problématiques iraniennes actuelles et consolider le régime autour d’un ennemi extérieur, non pour dénoncer la politique exterieure américaine. 

Sur le portail il est écrit en anglais et persan “Musée du nid d’espion américain”. Une instrumentalisation de l’Histoire, certes à des fins de propagande, mais rappelant malheureusement les jeux anglais et américains pour le contrôle du pétrole en Iran au XXème siècle.

En voyant cette fresque déformant l’Amérique et recouverte de traces de pieds – le gouvernement iranien se plaît à organiser des parades où la foule ou les troupes piétinent les symboles américains – nous sommes à mi-chemin entre le rire et les frissons. Un peu plus loin, des bassijis nous observent sur leur vieilles 125, comme on en trouve beaucoup en Iran. Nos amis sont un peu génés par la situation. Ils tiennent à ce que l’on comprenne que c’est la doctrine du gouvernement et non la volonté du peuple qui s’exprime sur les murs en face de nous. Il est vrai que la plupart de nous autres Occidentaux sommes souvent incapables d’appréhender la réalité de ce pays du fait de la désinformation du gouvernement iranien. Les médias de masse et les grandes agences de presse dans le monde ont pour habitude de se contenter de reprendre les informations diffusées par les sources officielles iranienne – souvent sans véritable travail d’analyse ou de journalisme - donnant un écho planétaire à la propagande d’un régime autoritaire.

Avec la coupure d’Internet, on regarde la télé satellite pour essayer de comprendre ce qu’il se passe. CNN, Al jazeera ou encore BBC et euronews. Tous diffusaient les mêmes images avec les mêmes commentaires, en boucle. Des manifestations anti-régime, des morts, des manifestations pro-régime… Il est compréhensible qu’à ce moment, dans un pays coupé d’Internet il était difficile d’obtenir des infos. Mais alors pourquoi en parlent ils tant, s’ils n’ont rien d’autre à dire ? Plus les jours passent, plus les images et paroles qui apparaissent dans ces chaînes venaient purement des agences de presses telles que IRNA et moins de sources non-gouvernementales.

Nous serions en Turquie lorsque le phénomène se répéterait avec l’ “assassinat” de Ghassem Soleymani par les Américains. On peut lire dans la presse que l’Iran “pleure” la mort du général. On voit alors une photo avec un homme portant le “cheffieh” blanc à carraux noirs, symbole des Gardiens de la Révolution. La plupart de ceux qui prennent la rue pour y déverser leurs larmes sont des soutiens du régime.

Nous sommes toujours en train de regarder les peintures devant l’ex-ambassade avec nos amis, en parlant de la situation en Iran.

“Tu devrais écrire un article dessus” me dit .Firuz
J’éclate de rire et répond, “oui mais après on va me tuer”
Il rit aussi, surpris par cette réponse.
Son sourire disparait ensuite.
“Oui, c’est vrai.”

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