Le noir de la mer

par Elias Giudici et Michael Gowen · 09.01.2020

C’est drôle, on aurait du mal à croire que cette photo retranscrit fidèlement les couleurs mais pourtant, dans mon souvenir ça sera exactement ça.

Avec Elias, nous avons un peu visité la ville. Nous sommes enfin en Géorgie, à Batumi. Je m’y sens vraiment bien et ça contraste énormément avec l’Est Turc qui n’a pas le quart de cette douceur. Ici, les immeubles sont ornés, leur façade se reflète sur les pavés de la rue quand ils sont polis par la pluie. Les jardins sont soignés et on y trouve même des tables de billard. Alors nous prenons un peu de bon temps. On discute, on marche et on fume des Sobranie. Elle est surprenante la Géorgie, avec son air perdu dans le temps. Ici, on croirait encore voir le décor d’une carte postale d’avant 1914. Tout de même, on n’échappe pas à son regard abandonné. Celui d’une âme usée par l’occupation Russe, l’occupation Soviétique et la guerre encore, il y a 12 ans de cela. Mais elle tient toujours, fière, comme dans tous ces regards étranges et douce comme ce vin qui nous saoule. Nous faisons un tour sur une grande roue délabrée au bord de la mer. Il pleuvine un peu mais de là-haut on peut voir les montagnes, les beaux immeubles et ces étranges laideurs futuristes qu’on voit souvent dans les pays qui ont connu l’URSS. On voit surtout la mer, partout autour. J’ai souvent voulu voir la Mer Noire. Pourtant une fois au bord, j’ai du mal à comprendre. Il y a quelques couples vautrés sur les galets, sous un ciel lourd et sans soleil. Peut-être ceux qui sont venus dans les belles voitures immatriculées en Russie ou en Azerbaidjan. Nous nous approchons de l’eau qui me parait étonnement chaude et claire. A ce moment-là, je me dis que c’est curieux de l’avoir ainsi nommée. On met nos maillots et on profite de l’occasion car on ne sait pas quand ça se représentera. Et puis, un peu pour la frime aussi. Pas tout le monde se baigne dans la Mer Noire. Elle a quelque chose de fort, de pur qui me rappelle un peu notre bon vieux Lac Léman. A ce moment-là, je me souviens d’un vieil homme que j’ai vu à la télé quand j’étais petit, dans un de ces reportages Arte sur Sébastopol. Chaque matin il se baignait et disait « Chaque fois que je ressors de l’eau, je suis un homme nouveau ». J’ai toujours aimé l’idée.

Le soir nous retournons vers la Mer. Elle gronde derrière les barraques illuminées des restaurants. Tout au bord de la plage, c’est comme s’il n’y avait plus rien et que la mer avait changé de visage. C’est elle la Mer Noire. Celle ou rien ne brille à l’horizon, dans le ciel ou dans l’eau. Les ténèbres complètes. Effrayantes et fascinantes. On dirait que chaque vague casse encore plus fort sur les galets et que l’écume s’y glisse jusqu’au ventre de la Terre. Il faut être fou pour y naviguer. Elle est sourde et aveugle cette mer qui gronde sans se soucier des hommes. Mais loin devant nous, on voit un rafiot au lumières incertaines qui tangue tranquillement.

Si on regarde par-là, c’est à peu près Istanbul. Par là-bas, c’est la Crimée, pas très loin. Pas très loin, les navires Ukrainiens naviguent tout près de la flotte Russe. Tout près de nous, c’est ce qu’on voit dans les journaux. Tout près de nous, c’est ce grand voisin qui nous tiendra longtemps compagnie. Mais au large, on ne voit rien. Il n’y a que les lumières de la Géorgie qui semblent briller timidement face à ce monstre endormi.

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