L'Iran

par Elias Giudici et Michael Gowen · 23.12.2019

Tabriz est une ville située dans le nord-ouest de l’Iran. Notre dernière destination avant de quitter le pays et rejoindre la Turquie. Nous y arrivons aux alentours de quatre heures du matin. Par la route, dans un autobus. On se joigne à un groupe de jeunes, pour partager un taxi et essayer de trouver un endroit où dormir. 

Le jour d’après, nous nous levons tard. C’est un jour étrange. Un 24 décembre dans un pays qui ne fête pas Noël. Un jour comme un autre pour les tabrizi, même dans les églises et les écoles arméniennes. En effet, c’est l’église romaine qui imposa cette date. La plupart des autres communautés chrétiennes ont gardé la date antique de cette fête, située début janvier. De plus, les communautés religieuses autre que celle de l’Islam chiite se font discrètes en Iran.

Nous deux, nous avons toujours passé cette journée au près de nos familles. Il nous faut trouver un endroit où célébrer, même simplement. Michael, catholique, tenait à entrer dans une église ce jour-là. Cependant, si l’on exclut les sites touristiques, les sites religieux autres que les mosquées sont difficile d’accès pour les étrangers. Peut-être veut-on éviter que les yeux ou les oreilles des voyageurs s’attardent sur les minorités. Si le zoroastrisme le judaisme et le christianisme sont des religions reconnues par la République Islamique, elles
ne disposent pas des memes droits que les musulmans.

Nous avons déjà l’impression de partir de l’Iran peu-à-peu. La Perse, dans tous les cas, nous l’avions quittée depuis un moment déjà. Avant Tabriz, nous nous trouvions dans le Kurdistan iranien, de culture et de langue éponyme. Et avant cela au Khuzestan, région arabophone. L’Iran a toujours été un pays multiculturel, tant sur le plan de la langue que celui de la religion. À Yazd on a rencontré des zoroastriens, à Esfahan des chrétiens arménophones et des musulmans sunnites à Sanandadj, capitale du Kurdistan
iranien. Cette dernière ville se trouve au milieu des montagnes, à près de mille cinq cent mètres d’altitude. Dans un environnement hostile et magnifique. Les montagnes étaient recouvertes d’une végétation brunie par l’hiver; les sommets portaient déjà la neige. L’air n’avait pas la pureté rafraîchissante de l’altitude, il était bien trop saturé d’hydrocarbures. Ce mélange de couleures entrait en harmonie avec la tenue traditionnelle portée encore par de nombreux kurdes. Une tunique brune et un foulard blanc et noir, portés comme turban ou écharpe. Les traditions sont toujours fortes chez les kurdes iraniens. Nous passâmes deux nuits dans un hôtel avant d’aller chez un ami rencontré à Chiraz, plus tôt sur notre chemin.

Il nous a fait découvrir la ville comme nous n’aurions jamais pu la voir par nous même. Il nous a raconté des histoires du peuple kurde. Des anciennes et des actuelles. Les histoires de ceux qui prirent les armes par le
passé; les histoires de ceux qui sont allés se battre au côté des kurdes irakiens contre l’Etat Islamique et périrent. Le PKK est vu ici bien différemment qu’en Turquie. Définir qui est un terroriste et qui n’en est pas un. C’est un acte toujours politique n’ayant pas de lien évident avec les morts causées par les différentes parties.

Dans cette région on nous a beaucoup parlé d’une indépendance pour un peuple kurde uni. Bien que ce projet relève, au vu de la situation actuelle, du rêve. Un rêve que certains vont défendre dans les montagnes les armes à la main; aussi bien des femmes que des hommes. Ils mènent une guerrila face aux forces spéciales des Gardiens de la Révolution, les forces Al-Qods. Leur nom est arrivé jusqu’aux médias occidentaux à cause des operations qu’ils mènent du Yémen jusqu’à la Syrie pour accroitre l’influence de la République Islamique dans ces régions. 

Les combats des montagnes kurdes sont eux méconnus.
Pourtant, ce n’est pas uniquement le rêve d’un Kurdistan unifié qui pousse certains au combat. C’est la crise économique, brutale dans tout l’Iran et particulièrement dans cette région. Ici, le gouvernement iranien mène une stratégie qui vise à maintenir les terres du peuple kurde dans un état de sousdéveloppement.
Ils ont peur de la puissance qu’ils pourraient acquérir, peur du séparatisme, lui-même fruit des problèmes causés par la situation actuelle du pays. La répression à Sanandadj, lors des manifestations suivant le triplement du prix de l’essence d’un jour à l’autre en novembre 2019, fut elle aussi particulièrement violente. À Teheran, la plupart des personnes avaient vent de ces émeutes telle une rumeur, sans savoir ce qui passait vraiment. À Sanandadj, certains habitants nous on parlé des cadavres dans la rue.

Nous sommes arrivés ici quelques semaines après ces évènements. Nous marchions dans la rue avec des amis, en plein centre-ville. En montrant un endroit sur le sol, l’un d’eux nous dit qu’ici, un jeune homme de dix-huit ans avait été abattu d’une balle dans la tête en plein jour. Il passait juste par là. L’important, pour le gouvernement, c’est de faire passer un message; les idéaux de la République Islamique sont plus important que la vie de ses habitants. Peu importe après qui se prend la balle, tant que ce n’est pas quelqu’un de trop important. Mais ces moments de démonstrations sanglantes ne sont pas tout. D’une manière qui rappelle les tactiques du gouvernement américain dans les reserves indiennes, la population semble poussée vers la consommation de drogue.

On est vite détourné de l’idéal révolutionnaire islamiste. Faute d’opium du peuple, le pavot et les médicaments sont en effet une bonne alternative. Ainsi, j’allais acheter une barre chocolatée dans un tabac quand
l’ami qui m’accompagnait me mit en garde : apparemment des traces d’opïoides avait été trouvées dans les produits de cette marque quelques mois auparavant. Difficile de connaître la véracité de ces allégations. Cependant, même si ces histoires ne sont que des légendes urbaines, on peut voir beaucoup de toxicomanes à certains endroits de la ville, se piquer par dizaines au bord de la route. Nous ne pouvons avoir le fin mot de l’histoire, mais ces théories aux allures complotistes pourraient avoir de réels fondements.

Le coeur allourdi par la route, nous arrivons dans l’Azerbaïjan iranien. Il n’y avait pas de neige. Mais le vent et la pluie pouvaient rappeler un hiver à Genève. Pour notre repas de 25 décembre nous choisissons un café restaurant qui s’étendait sur trois étage. Après avoir pris un éscalier depuis la rue, on arrive au premier étage : des tables vides et un autre escalier. Au deuxième, l’atmosphère est bien différente; toutes les tables étaient prises. Enfin, au troisième, les murs sont recouverts de livres. Aux tables, on mange, fume avec un thé ou joue d’un instrument. On peut aussi entendre le bruit des dominos joués avec plus ou moins d’habileté. Des universitaires, galeristes ou intellectuels formaient la clientèle de cet étage. L’hospitalité n’est pas la meme ici que celle que nous avons rencontré les jours précédent; les locaux parlent azéri et refusent souvent de s’adresser en persan aux personnes venues du reste de l’Iran. Cette animosité est moins présente envers les autres peuples turcs. De manière générale, la société y est très conservatrice, malgré le fait que ce soit une des plus grandes villes d’Iran.

Tabriz est un endroit antique. Il en est de même pour son marché; le plus vieux et plus grand bazaar couvert au monde. Un labyrinthe, tantôt d’épices et de pistaches, tantôt d’or et d’argent. Les longues allées au parfums divers font place a des passages où l’on ne voit que des métaux précieux par tous les côtés. On peut parfois trouver de larges cours intérieures dans lesquelles des chats stoïques au pelage sublime vous fixent. Comme toujours dans le bazaar, le désordre apparent s’efface lorsqu’on part en quête de quelque chose. Nous cherchions des bijoux d’argent lorsqu’un événement vint troubler le bon fonctionnement du bazaar. Une alarme se déclenche; tout le monde s’arrête, se retourne, regarde s’il aperçoit le voleur. C’est juste un petit enfant maladroit. Le monde se remet à tourner, sauf pour lui et sa mère qui lui crie dessus en lui donnant des claques.

Les alentours du bazaar – déjà immense – sont un quartier commerçant. Nous y avons acheté les derniers cadeaux d’Iran, avant de prendre un bus pour nous ramener en Turquie.
Nous avons choisi de nous arrêter dans des petites villes de Turquie, plutôt que de rejoindre directement Istanbul. Après la longue attente pour traverser la frontière irano-turque, très surveillée des deux côtés, nous arrivons au matin à Erzinjan, une petite ville du milieu de la Turquie. Dans une zone rurale, elle nous fait étrangement penser à une ville allemande dans son architecture. Peut-être que les nombreux turcs partis en Allemagne pour ensuite revenir au pays ne sont pas étrangers à ce développement urbain. On se balade dans ces rues, retrouvant la Turquie et son thé plus fort que tous les autres. Après avoir mangé un Burger King pas si bon que ça, on va s’acheter une bière. En la dégustant dans un parc en toute légalité, l’Iran semble déjà loin.

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