Béton et Sable

par Elias Giudici et Michael Gowen · 28.08.2019

Avec une jeep et un guide nous parcourons le désert du Mangistau. Un désert aussi beau que désolant, renfermant plein de surprises malgré son aspect monotone. Tout nous semble plat quand nous nous rendons compte que devant nous se trouve un canyon. Nous sortons de la voiture pour jeter un coup d’oeil sur cet abysse que nous surplombons, en aspirant une bouffée de l’air bien trop sec de l’est de la Caspienne. Le guide décide d’aller voir de plus près. Après un quart d’heure de voiture sur une piste à peine praticable nous
arrivons au fond du canyon.

Il y a là une alcôve rocheuse, au milieu duquel se trouve un grand trou qui laisse passer la lumière du soleil. L’eau se trouve ici à quelques métres à peine sous le sol. Des arbres poussent ainsi dans la caverne percée. Nous mangeons leurs fruits et savourons leur air. Il est pur, contrastant avec celui que nous avions réspiré les jours précédents.

Avant cela, nous sommes restés bloqués quelques jours à Aktau. Une forêt de béton qui s’élève comme un mirage au milieu des étendues arides. Une cité assemblée de toutes pièces dans les années soixante par l’URSS, sans autre but à l’origine que l’exploitation minière. Coincée entre la Caspienne et le désert, célèbre surtout pour la plus grande mine d’uranium à ciel ouvert au monde. Les activités nucléaires ont progressivement cessé depuis la chute de l’union soviétique. On dit dans la ville que l’air a un taux d’oxygène
anormalement bas. Que cela endort ceux qui vivent dans les alentours.

Bloqués à Aktau, il nous reste un jour avant de prendre enfin un train qui nous amènera plus à l’est, dans la république autonome du Karakalpakstan, en Ouzbekistan. Nous parcourerons bientot plus ces allées
poussièreuses contournant des blocs grisonnants sous une lumière presque apocalyptique. 

9 MIKRORAYON BUILDING 8A


L’adresse de notre hotel est singulière, comme toutes celles de cette localité. Pas de nom, juste des nombres mis ensemble. Des Rayons, Microrayons, puis des grands blocs avec des chiffres peints sur leurs facades. On ne pouvait rentrer qu’à l’aide d’un permis spécial dans cette cité minière aux temps de l’Union Soviétique.

Aujourd’hui elle se développe, grâce aux nombreuses matières premières présentes dans les alentours et à sa position stratégique le long des nouvelles routes de la soie. Son port s’agrandit permettant d’acheminer de la marchandise jusqu’en Azerbaijan, ou encore en Iran. Une classe moyenne naît et un Burger King ouvre, non loin des deux monuments principaux de la ville. En face du fast-food il y a un dôme ouvert avec un brasier en son centre et de la musique classique à l’intérieur. Un monument qui célèbre la mémoire de ce que nous appelons la deuxième guerre mondiale et les pays de l’ex-union soviétique nomment “La Grande Guerre Patriotique”, 1941 à 1945. Si ce lieu a été érigé à la mémoire des soldats kazakhes, ces derniers sont souvent mis de côté dans leur implication durant le conflit. Un guide local nous expliquera plus tard que la Russie prend en compte les pays de l’ex-URSS quand ça l’arrange. Ce ne sont pas que les Russes qui ont gagné la Grande Guerre, malgré l’image gravée dans la mémoire collective occidentale, voire russe. Les visages Kazakhes Ouzbèkes et Kirghzes ont été oubliés. Plus loin vers la mer s’élève un MIG 21, qui pointe vers le ciel et la Caspienne. Les deux monuments entrent en parfaite harmonie avec l’anatomie soviétique d’Aktau.

Le passé laisse des traces, même si les autorités aimeraient les enterrer, comme la grande mare rouge remplie de déchets industriels qu’on assèche et bétonne sans aucune mesure de décontamination. Au milieu d’un terrain vague où passent les pipelines qui serpentent un peu partout dans les rues et le sous-sols
de la ville. 

Cette partie du Kazakhstan nous a laissé de bons souvenirs et d’autres qui nous restent sur l’estomac comme si nous avions mal digeré quelque chose.

Le béton, le sable, l’air et les opportunités et problématiques dues au développement qu’amène la privatisation ou les grandioses projets chinois laissent perplexe. La mer et le désert alimentent ces enjeux mais nous offrent de la quiétude.

Assis au milieu des fruits du désert, nous nous échappons.

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