Fin et remerciements
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
par Simon Bérard · 20.12.2022
Pakse, au sud du Laos. Après ces quelques jours d'effort mal maîtrisé de Vientiane à Thakhek, j'ai fini
par prendre le bus pour arriver jusqu'à cette petite ville plus touristique.
Trois jours de repos. J’erre dans ces ruelles vides qui me rappellent beaucoup celles de la capitale. Pas
grand monde, du vent, des chiens errants. Un marché aussi, un immense marché qui semble
déconnecté de toute temporalité. La moitié des vendeurs est assoupi sur des assemblages colorés de
chiffons. Ils lèvent les yeux seulement lorsqu’ils devinent du mouvement devant leur boutique. Ils se
lèvent à contre-coeur, sans y croire, me regardent avec un air d’attente, le sourcil levé, prêt à encaisser,
puis vont à nouveau s’évanouir dans leur sommeil de fortune lorsque je fais signe de m’en aller.
Malheureusement pour les vendeurs, c’est une autre denrée que je cherche dans ces couloirs. Une
chose qu’ils ne peuvent m’offrir en me remarquant. Je rêve de les photographier dans leur ordinaire
nonchalance, dans leurs poses lascives d’attentes infinies, de saisir l’expression d’ennui qui flotte
devant leurs yeux.
Mais malgré tous mes efforts de caméléon, je détonne trop : mon bob bleu, ma grosse sacoche et mon
appareil photo maladroitement dissimulé, mes regards furtifs, mes moues déçues lorsqu’ils
m’aperçoivent et viennent aussitôt vers moi pour me présenter leur étalage cent fois vu et revu.
Je ne ferai aucune photo qui me plaise ce jour-là. De plus, je suis encore extrêmement mal à l’aise de
capturer ces moments d’ordinaire, de voler l’image de personnes qui n’ont même pas idée qu’un petit
occidental se camoufle derrière une teinture pour les photographier.
D’ailleurs, avant de partir, lorsque je tente une dernière fois de saisir une scène, l’une des femmes
assise aux machines à coudre se lève et me transperce d’un regard glacial. Bien sûr, fidèle à la
gentillesse laotienne, elle ne me fait aucun commentaire mais je m’enfuis rapidement avec un terrible
sentiment de honte.
Pour la première fois je tente aussi d’entrer dans un établissement de massage. Je me dis que cela
pourrait être une bonne idée de me détendre les cervicales avant de reprendre la route. Je m’arrête
devant une première vitrine. Lumière tamisée, femmes accoudées à des scooters qui me regardent en
ricanant. Je n’ose pas rentrer.
Le deuxième emplacement me semble déjà moins douteux. Malgré le fait qu’il n’y ait absolument
aucun autre client, on ne me regarde pas comme un extra-terrestre lorsque j’entre. Une femme me
demande de m’asseoir, d’enlever mes chaussures et mes chaussettes, ce que je fais très religieusement
en ne sachant toujours pas dans quoi je me suis embarqué.
J’ai les yeux dans le vide, l’attente est interminable. Soudain, je sens un liquide me toucher les pieds et
je me lève d’un coup en faisant un pas sur le côté. Une des employées s’était agenouillée pour me
laver les pieds. Je bredouille que je veux un massage à la nuque, pas aux pieds. Elles n’ont pas l’air de
comprendre. « Ok ok ok » me disent-elles. Bon. Pourquoi pas.
Ce n’est pas désagréable mais ce qui est censé être une introduction détente tourne en fou rire des
femmes dans la boutique : je ne peux m’empêcher, ça me chatouille trop ! Le massage prend fin
prématurément puis on m’emmène à l’étage dans une salle très étrange. Trois lits s’alignent dans une
chambre peu éclairée. On me tend un chiffon, je ne sais pas quoi en faire. La femme est partie trop vite
pour que je lui demande.
Alors j’attends, à nouveau. Lorsqu’elle arrive, elle fait une mine surprise. Elle me montre le chiffon,
s’approche et le prend pour le déplier. C’est en réalité un pantalon très large et une chemise.
La femme repart, je me change. Enfin, après quarante minutes, elle pose ses mains sur mes cervicales.
Honnêtement, je dirais que c’est agréable. Cependant, à plusieurs reprises, elle se met à me donner des
coups de poings sur les côtes ou sur la nuque. Ou elle saisit mon crâne en mettant son genou sur le bas
de mon dos puis se met à me tracter vers l’arrière alors que je somnole. Le retour à la réalité est un peu
brutal. Le mélange d’extrême douceur et de quasi brutalité donne une expérience intéressante. À faire
une fois, sûrement pas deux.
Les immenses digues qui bordent tout un côté de la ville proposent sinon des itinéraires de balades
intéressants. D’ici, on gagne quelques mètres sur les toits, ce qui ouvre une vue panoramique sur le
Mékong et les ruelles de la ville. Peu de gens s’y promènent, l’endroit n’est pas entretenu. Lentement,
les blocs de béton se fatiguent dans une expression d’affaissement pour finir sous la poussière orange,
presque rouge, qui envahit tout. Quelques bâtiment abandonnés sur un no man’s land de terre sèche et
aride complètent les abords du fleuve.
Dans les pâles lueurs du coucher de soleil, je me dis qu’il est temps de partir. Demain, je me remettrai
en route. L’excitation du début me reprend : j’ai hâte de quitter la ville pour retrouver du mouvement.
Même si j’ai en tête ma dernière expérience de vélo qui était franchement désastreuse - Vientiane
jusqu’à Thakhek - , je pense avoir maintenant le recul pour ne plus replonger dans le même tunnel dans
lequel je m’étais piégé pour ces quelques jours. Un nouveau départ en quelque sorte ? Tout est possible
maintenant.
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
Six heures. Je n'ai pas dormi de la nuit. Pas l'envie. Je sors doucement de ma chambre.
10 janvier 2023. Je m'apprête à me lancer dans mes derniers jours de voyage. Mon objectif : Kep, un petit village balnéaire où je finirai mon itinéraire.