Fin et remerciements
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
par Simon Bérard · 19.12.2022
Je suis dans le bus. Lorsque je l’ai vu arriver derrière moi, je n’ai même pas réfléchi. Je me suis mis au
milieu de la route en agitant les bras. Je m’attendais à devoir me battre pour les convaincre, au
contraire, ils ont aussitôt sanglé mon vélo et rangé mes sacoches dans la soute. Pas le temps de douter,
je suis déjà dans ce siège très peu confortable, lancé pour huit heures de trajet jusqu’à Pakse.
Différentes impressions se mêlent en moi. Du regret, un peu. J’aurais aimé pouvoir tout faire en
pédalant. C’était l’objectif initial, ce que j’avais prévu de réaliser. Mais je sens aussi une sorte de
soulagement. Les jours précédents étaient simplement de trop.
Toute la journée, poussière, soleil, cailloux acérés, paysages désolés de maisons en ruines. Des
chambres miteuses de néon blanc agressif aux lumières aveuglantes de la campagne anonyme, des
soupes baveuses à l’ombre plastique d’une gargote vide aux fumées noirs que ressassent les poids
lourds.
Lentement, des oeillères se forment. Le but se transforme : avaler les kilomètres pour fuir, pour oublier
ces mauvaises brumes. Il faut aller le plus rapidement possible, se plonger dans l’effort comme pour
sortir d’un mauvais rêve. Alors plus rien ne vient se mettre en travers de la distance sans cesse
renouvelée, du mécanisme sauvage des genoux qui s’échauffent.
Mais forcément, l'horizon est sourd. Il suffit de regarder ma carte pour comprendre que je ne peux
continuer ainsi éternellement.
Un jour, deux jours, trois peut-être. Le quatrième est définitivement le dernier.
Je connais l'objectif initial mais je sais aussi que je ne suis pas venu pour le défi sportif. Je suis ici pour
avoir une histoire à raconter, que cela soit pour moi-même, mon blog, le documentaire. Je n'aime pas
spécialement le vélo mais j'adore ce qui en découle : les situations loufoques, les rencontres insolites,
la découverte du dessous des cartes.
Alors pourquoi continuer sur cette route qui n'offre rien d'autre que des nids-de-poule et du vide ? Je
ne rencontre personne, je ne vois rien, ne découvre rien. Je continue simplement par ego, parce que
c'est ce que je dois faire même si ce n'est pas ce que je veux faire.
Je hoche la tête en y réfléchissant. Et en guignant par la fenêtre de mon bus qui file furieusement dans
son nuage de poussière, je crois avoir pris la bonne décision. Le paysage défile, défile, mais reste le
même.
C'est le malheur de cette région du centre : le Laos est comme coupé en deux, entre le nord, les
ravissantes montagnes et la capitale puis le sud avec son collier d'îles et de temples antiques. Au
milieu, rien.
J'assiste à un magnifique coucher de soleil sur la plaine. Après déjà six heures de trajet, je suis
convaincu de mon choix.
On me dépose à Pakse après dix longues heures de bus. Il est 21h30 et je dois encore trouver une
guesthouse, ce qui est fait sans problème. Je me met en quête d'un endroit ouvert pour manger mais un
laotien vient subitement à ma rencontre en me demandant de l'aide. Je le suis à travers la ville. Je suis
curieux mais un peu méfiant. D'un coup, je découvre la scène. Une voiture en équilibre, un pneu dans
le vide, après une marche sur le trottoir qu'il n'a sûrement pas dû voir en réalisant sa manoeuvre. Un
autre laotien est là, on se salue et on se met au travail.
On cherche des briques, des planches dans le voisinage, je les éclaire avec la lampe de mon téléphone.
Le conducteur en nage monte dans son véhicule puis y redescend sans avoir tourné le contact, et ainsi
de suite : il est désespéré. Après une demi-heure d'essais, il parvient finalement à gagner la route dans
un fracas de métal. Son visage se libère et explose de soulagement. Il veut absolument me conduire
quelque part même si je lui dis que ma chambre est à cent mètres d'ici. Il insiste pour me donner son
numéro en me faisant promettre de l'appeler si j'ai besoin de quoi que ce soit.
Je n'ai pas mangé mais je suis heureux : il semblerait que l'aventure recommence !
Je ne regrette pas d'avoir pris ce bus. Sans vouloir faire de la philosophie de comptoir, je me dis qu'il
est parfois bon de mettre de côté son esprit conquérant pour accepter la désillusion ou simplement la
réalité. Le but premier d'un voyage, même s'il est facile de l'oublier, c'est de profiter. Forcément,
certaines situations ou états de faits empêcheront la réalisation de ce souhait, il convient ensuite de
savoir faire au mieux la part des choses pour s'adapter. Quitte à changer de parcours, suivre une idée
différente, accepter qu'un certain idéal que l'on s'était fait de l'aventure ne peut être atteint. Au lieu de
poursuivre aveuglément une quête inutile, il vaut mieux ouvrir à nouveau les yeux, accepter de quitter
sa chimère pour retrouver le spontané, l'inattendu, ces petits mystères colorés qui se révèlent lorsqu'on
les attend le moins.
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
Six heures. Je n'ai pas dormi de la nuit. Pas l'envie. Je sors doucement de ma chambre.
10 janvier 2023. Je m'apprête à me lancer dans mes derniers jours de voyage. Mon objectif : Kep, un petit village balnéaire où je finirai mon itinéraire.