Fin et remerciements
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
par Simon Bérard · 19.12.2022
1552 kilomètres : c’est ce qu’il me reste à parcourir. Je fais mes calculs sur une terrasse tranquille de
Vientiane, avec un bon « french croissant » sur la table. Il est plus de midi, j’ai passé toute la matinée à
découvrir quelques lieux touristiques de la capitale avec une amie laotienne - découverte lors du
premier jour - qui se fait un plaisir de me prendre en photo, moi très peu à l’aise et mon vélo, devant
les grands classiques de la ville.
1552 kilomètres… cela semble énorme comme pas grand chose. Difficile de jouer avec des sommes
aussi grandes.
Sur ma carte, mon itinéraire n’est qu’un long trait bleu qui fuse droit vers la mer. Facile. Le chemin
semble logique, implacable : il serpente entre d’immenses zones vert-de-gris pour passer par quelques
gros pâtés noirs surmontés de grands noms - Pakse ; Siem Rap ; Angkor Vat ; Phnom Penh. Le trait est
lourd et épais : il déborde sur le côté de la route, anéantit des agglomérations entières, fait disparaître
les virages et les méandres, saute les montagnes et les fleuves, on voudrait s’y glisser pour avaler les
centaines de kilomètres.
Mais en se rapprochant, des constellations se dévoilent. De nouveaux mondes, même. Des forêts, des
montagnes apparaissent, puis le Mékong avec ses frères et soeurs. Viennent les quadrillages infinis des
petites routes annexes, courbées, tortueuses, se tortillant furieusement autour de chaque ville ou village
et qui, comme des millions de fils multicolores, composent la richesse d’une toile immense.
Moi, je suis ce petit point, là. La flèche bleue de mon application de guidage tourne follement sur ellemême
lorsque je zoom sur ma position. Bon. Il est treize heures, si je veux arriver quelque part
aujourd’hui il serait temps de s’y mettre.
Je me retrouve rapidement sur l’un de ces grands axes qui encadre Vientiane. Quatre voies très peu
fréquentées mais que les usagers se partagent avec parcimonie : deux pour les voitures, une pour les
motos et les véhicules plus vieux ou plus lents - je me range dans celle-ci - et la dernière pour la
poussière ou les stands de nourriture calcinée par la chaleur. Ce n’est pas la route la plus drôle mais
cela permet de rouler relativement rapidement. Je remarque cependant beaucoup de déchets sur la
voie, ce qui m’oblige à ralentir pour ne prendre aucun risque. Mais ce que je redoutais le plus arrive au
bout de dix-sept kilomètres seulement. Un gros bruit, mon vélo qui ralentit subitement.
Ma première crevaison !
Je jure - la roue arrière en plus ! - puis je me promet de garder mon calme. Un petit espace sur le bord
de la route me permet de commencer mes travaux dans une calme relatif. En effet, plusieurs curieux à
scooters ralentissent pour m’observer. Certains s’arrêtent et échangent quelques discussions en me
regardant. Je leur souris gentiment même si je me concentre pour rester positif. Robotique et concentré
: il faut être méthodique. J’essaie de me remémorer au mieux ce que j’ai appris en une après-midi
seulement, avec le gérant incroyablement patient et passionné d’un magasin de vélo à Montreux.
Enlever la roue, séparer le pneu de la chambre à air, repérer la fuite, coller le patch après avoir bien
nettoyé, puis faire le chemin inverse - bien faire attention au dérailleur en remettant la roue, je me
répète plusieurs fois - et le vélo est prêt à continuer la route ! Tout simple ?
Je met déjà une bonne demi-heure à trouver le problème. Entre temps, tandis que je m’énerve sur ma
roue - je sais que je m’étais promis de rester calme… - , une bande de gamins apparaît devant moi. Ils
sont quatre, ils doivent avoir une dizaine d’années. Mon esprit ne peut s’empêcher d’imaginer le pire
alors je range ma gopro et mon appareil photo loin des regards indiscrets. Ils se mettent à me tourner
autour en hurlant ou en se murmurant l’un à l’autre des secrets aux oreilles. Ils m’amusent même si ce
n’est pas le meilleur moment pour discuter. On finit par parler dans une langue universelle : le football.
Ils me disent : « Messi ? Messi ? »
Je leur répond : « Ronaldo ? Ronaldo ? »
Ils rigolent, moi aussi.
« Qatar ! Worldcup? » Je les pointe du doigt.
« Yes ! Yes ! Yes ! » Répondent-ils en se tortillant.
Je tente de leur demander quelle équipe ils supportent mais ils ne comprennent pas. Alors la discussion
repart sur Ronaldo et Messi, à grand renfort de bagarres et d’exclamations entre les enfants pour
savoir, j’imagine, qui a raison.
Je crois qu’ils comprennent ensuite ma première question. Alors ils se mettent à répéter le nom de
différents pays : “Argentina ! Yes ! No ! Portugal ! France !”
Souvent, je tente de deviner ce qu’ils me disent en fonction de leur prononciation.
Molokoo pour Morocco
Faanse pour France
Awe-tinaa pour Argentina
Après quelques minutes je tente gentiment de les faire partir car je voudrais bien continuer à réparer
mon vélo, surtout qu’il est déjà bientôt 15 heures. Mais rien n’y fait, ils s’accrochent.
Awe-tinaa ! me répète constamment le plus jeune en me montrant fièrement son maillot de foot qui
d’ailleurs n’est pas du tout celui de l’équipe qu’il scande à tue-tête. Je lui souris, de plus en plus agacé.
Les autres prennent mes outils pour les observer et commencent à les utiliser comme des épées. C’est
lorsque l’un d’eux se met mon pneu autour du cou pour faire du hula hoop que je me met sérieusement
à les prendre par le bras pour les éloigner.
Même si ça les amuse, je crois qu’ils voient mon énervement. Ils restent encore quelques minutes,
assis en silence comme les meilleurs élèves d'une classe studieuse, à me regarder à la tâche puis ils
finissent par bien vouloir partir après une dernière longue minute de « bye-bye » et de grands signes
d’au revoir.
Aussitôt, un scooter s’approche et s’arrête à mon niveau. Un homme descend et me demande
visiblement si j’ai besoin d’aide. Je tente de lui expliquer gestuellement que mon pneu est crevé mais
que je peux me débrouiller. Il n’a pas l’air de cet avis : il me fait comprendre qu’il veut emmener ma
roue pour l’amener dans un garage plus loin. En tout cas, c’est ce que je devine. Je suis partagé mais
l’idée de laisser ma roue à inconnu me rebute un peu. Je pense qu’il comprend mon hésitation, alors il
fait descendre un enfant de la place arrière de sa moto et le pousse dans ma direction. Le gamin garde
les yeux rivés sur son téléphone. Avec son ensemble blanc et gris trop étroit pour son corps boudiné, il
ressemble à un gros poussin boudeur.
La situation ne m’enchante pas mais devant l’insistance du conducteur, je finis par accepter. Je le
regarde disparaître avec ma roue arrière qui pend sur le côté de son véhicule tandis que le gamin s’est
installé à quelques centimètres de mon vélo, accroché à un nouveau jeu qui empli l’air d’une musique
électronique de mauvais goût.
Je ne peux m’empêcher de rigoler devant le comique de la situation. Surtout lorsque je vois, au loin, la
bande de gamins d’avant qui revient dans ma direction avec des bâtons dans les mains.
Ils se remettent à m’observer, on reparle le foot. Avec mon otage, la bande de gamins, les hommes en
loques qui errent sur le bas côté à la recherche de trésors parmi les déchets et les curieux qui s'arrêtent
en scooter, j'assiste à un drôle de spectacle dont je suis visiblement le principal acteur.
Devant toute cette animation et pour la première fois, mon otage daigne lever les yeux en ma direction.
Seulement pour quelques secondes, le temps de se curer le nez. Et il replonge sur son téléphone. Ravi
de te rencontrer.
Lentement, le temps passe. Les gamins et les curieux sont partis. Je fais quelques tours autour de mon
pauvre vélo. Il ressemble à un insecte sur le dos qui agite ses pattes dans le vide. J’observe aussi le
gamin dont la tête s’agite d'étranges tics.
Lentement aussi, le soleil se met à décliner. De grands traits oranges s’étirent sur la route, nappant
d’une belle lumière le faible trafic. Même les éternels camions chinois finissent par avoir un charme.
Au bout d’une heure, alors que je n’y croyais plus - je m’imaginais passer toute la nuit au bord de la
route avec ce pauvre enfant - le scooter débarque. L’homme me tend ma roue, gonflée, en apparence
parfaitement réparée. Je suis si soulagé de la revoir saine et sauve que j’ai envie de le prendre dans
mes bras. Son visage impassible retient mes éclats de joie.
Il m’aide à tout remettre en place et disparaît avant que j’aie le temps de le remercier. Le gosse avec
lui.
Il a pris plus d'une heure de sa journée, sûrement en rentrant du travail, pour aider un inconnu sur le
bord de la route en lui laissant son enfant en signe de bonne intention.
Deux options s’ouvrent maintenant à moi. Je peux continuer, mais je ne sais absolument pas si ma roue
va tenir ni où se trouve la prochaine guesthouse, ou revenir en arrière à Vientiane pour recommencer
plus sereinement en faisant une vérification plus complète de mon vélo.
Je choisis la deuxième option, rapidement validée : je dois pomper quatre fois pour revenir à mon
point de départ. Le vieillard lao de la guesthouse ne s'attendait pas à me revoir mais dans son français
presque parfait, il me montre une chambre libre. Celle que j'ai quitté ce matin.
Le lendemain, en désossant mon vélo, je découvre un gros patch à moitié décollé qui couvre
grossièrement ma chambre à air. Voici la fameuse réparation ! Un cycliste en aurait sûrement une crise
de panique. De gros pâtés de colle séchée et de papier tiennent vulgairement un morceau de matière
molle et élastique, bien trop épais, recouvrant très approximativement la fuite.
Impossible de réutiliser ma chambre à air après ce massacre. Mais je ne leur en veux en aucun cas, ils
ont tenté au mieux de m'aider avec les moyens mis à leur disposition (j'imagine que le patch est
normalement utilisé pour des scooters). Je sors une nouvelle chambre à air de mon sac et l'affaire est
réglée.
Je suis prêt à repartir, en espérant ne pas me revoir une nouvelle fois à Vientiane.
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
Six heures. Je n'ai pas dormi de la nuit. Pas l'envie. Je sors doucement de ma chambre.
10 janvier 2023. Je m'apprête à me lancer dans mes derniers jours de voyage. Mon objectif : Kep, un petit village balnéaire où je finirai mon itinéraire.