Fin et remerciements
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
par Simon Bérard · 25.12.2022
Avec Johannes, je crois que nous nous sommes trouvés au bon moment, au bon endroit. Il se dit
fatigué de ses voyages, il veut se reposer. Moi de même.
Il loue un vélo - un tas de ferraille - et nous traversons lentement l’île. Peu d’attractions valent la
peine, tout paraît vide et abandonné. Nous payons une entrée dans une sorte de grand parc qui devait
être bondé avant le covid mais qui aujourd’hui est aussi morne que la campagne. Un promontoire
permet tout de même d’admirer une cascade. De rares touristes prennent leur photo ou observent un
peu déçu la fureur écumeuse des cataractes.
Nous finissons la matinée sur une plage de sable fin, un minuscule désert qui donne sur un dédale
compliqué de roches et de végétation dépassant difficilement la tête sous les rapides du Mékong. Le
temps est bon, les nuages sont cotonneux comme sur un dessin d’enfant. Le paysage invite aux
longues discussions et aux silences contemplatifs.
À mesure de nos discussions, j’en apprends toujours plus sur mon mystérieux interlocuteur. Il
m’intrigue fortement. Chemise orange, lunettes de soleil en petits ronds qui couvrent des yeux
intelligents. Je tente de chercher dans ma mémoire : j’ai forcément dû le croiser dans les couloirs du
gymnase puisqu’il y a passé deux ans dans une classe parallèle. Pourtant, malgré un vague souvenir
lorsqu’il évoque ses cheveux longs qu’il a coupé avant de partir à l’aventure, rien ne me vient.
Il me raconte son voyage au Népal et l’une de ses expériences attire spécialement mon attention. Sans
trop savoir pourquoi, je me prends de passion pour cette histoire.
À Katmandou, Johannes rencontre Ben dans une auberge de jeunesse. Apprenant tout deux qu’ils n’ont
qu’un an d’écart - 18 et 19 ans - , ils s’entendent tout de suite à merveille. Après une journée passée
ensemble, ils se quittent à regret pour partir chacun vers leurs itinéraires respectifs.
Déjà, Johannes est fasciné par sa rencontre.
Complètement par hasard, ils se croisent à nouveau dans les rues d’une autre ville. Ils partagent un
repas, discutent avec effusion, heureux de se retrouver. Johannes lui parle de son envie de faire une
retraite. Il pense à louer une maison pour quelques semaines pour méditer. L’idée parle beaucoup àBen et finalement, ils décident de s'installer dans une maisonnette donnant sur un magnifique lac en
contrebas. Un petit jardin encadre leur demeure aux murs roses. Ils passent dix jours à méditer ou à
lire, perdus au milieu de la végétation luxuriante qui les entoure. Au septième jour - si je ne me trompe
pas - , ils accueillent un visiteur : un baroudeur français qui voyage depuis cinq ans avec son projet de
livre dans la tête. Robie - c’est son nom - , est instantanément fasciné par la personnalité de Ben. Il
faut dire que Ben a énormément lu et a dévoré une grande section de la littérature philosophique. Ils
entament une discussion endiablée en échangeant sur différents philosophes aux noms inconnus de
Johannes qui, en retrait, assiste médusé au spectacle qui prend place devant lui. Il est admiratif.
Mais soudain, après trois heures d’échange, Ben se lève et quitte sans un mot la table, sous le regard
interloqué de Robie. Lorsqu’il revient, il annonce partir en promenade. Puis il disparaît. Le temps
passe et il faut bien que Robie s’en aille car la nuit approche. La mort dans l’âme, ne comprenant pas
la réaction du jeune garçon duquel, pense-t-il, il a encore énormément à découvrir, il quitte la demeure
des deux adolescents. Une minute après, Ben est de retour. Nous aimions simplement nous écouter
parler, j’ai préféré partir. dit-il simplement à Johannes.
Et les jours passent, Johannes découvre lentement le voile de mystère qui nappe la personnalité de
Ben. Cependant, malgré quelques discussions, Ben préfère se murer dans le silence, et lorsqu’il se met
à parler, ce n’est jamais par hasard. Il prend de longues pauses entre chaque phrases, choisissant
méticuleusement les mots exacts pour développer sa pensée, ce qui impressionne à nouveau beaucoup
Johannes. Le jour des adieux, ils conviennent un rendez-vous dans cinq ans. Ensuite, ils ne se
donnèrent (je crois) plus de nouvelles.
Je ne saurais dire exactement en quoi cette rencontre me fascine mais je crois que ce qui capte le plus
mon attention, c’est Ben. Ben et sa personnalité, ses réactions incompréhensibles, ses moments de
grandeur et parfois, ses apparentes contradictions. Je crée un dossier sur mon téléphone où je regroupe
toutes les anecdotes et informations que peut me transmettre Johannes à son sujet. Le mélange semble
incohérent, incompatible, mais il est à l’image de Ben, du moins de l’idée que je m’en fais. Voici
quelques notes :
• Ben est allemand, il vient d’avoir dix-huit ans. Il est grand, blond et musclé.
• Ben porte une grande attention à la propreté de ses dents. Il les nettoie régulièrement.
• Ben écrit un paragraphe, parfois seulement une phrase chaque jour pour le projet d’un futur livre.
Il est très fier de son texte.
• En plus de ses dents, Ben accorde plus généralement une grande importance à son apparence. Au
gymnase, il s’habillait comme un rocker des années septante. Notamment, avec ce qu’il appelait
« des bottes de cow-boy »
• Le style de musique de Ben est le rock psychédélique des années 1967 à 1971 (il donne ces dates
précises à Johannes lorsqu’il lui demande quelle musique il écoute !)
• Ben a pour habitude de jeter des cailloux sur des cibles qui se proposent à lui. Un arbre, un
buisson. Mais aussi, les singes qui pullulent autour de la maison ! Lorsque Johannes lui demande
pourquoi il tente d’atteindre les animaux, Ben répond calmement qu’il est très important de
savoir utiliser un caillou car c’est un moyen de défense efficace. Johannes rajoute en me
racontant cette histoire qu’il pense que ce n’est pas la vrai raison mais qu’il ne saurait dire
pourquoi Ben faisait ça.
• À propos, Ben tient absolument à avoir une photo de lui, tenant une machette et faisant mine de
combattre un singe.
• Ben tente de lire quatre heures par jour, puis passe le reste de son temps à méditer.
Et ainsi de suite.
Et malgré tout ce que me raconte Johannes, je n’arrive pas à fixer une idée finie du personnage. Il
paraît tantôt fou, obsédé, maniaque, parfois même manipulateur mais de l’autre côté, il semble calme,
reposé, gentil et réfléchi. Je l’imagine déambuler dans son gymnase dans sa tenue de rocker, je
l’imagine répondre à Johannes lorsqu’il lui explique calmement pourquoi il lance des pierres sur ces
pauvres singes, je l’imagine dans sa discussion avec l’écrivain français.
Et le cadre aussi est fascinant… Le Népal, terre de promesses pour les aventuriers fous du monde
entier, pays des poètes rêveurs, des idéalistes aux paroles enflammées, des alpinistes chevronnés, des
drogués suicidaires, des solitaires amoureux des grandeurs, ou simplement des jeunes néophytes qui
sentent là-bas, au milieu des montagnes, entre les temples, les neiges éternelles et les drapeaux
multicolores, un curieux appel qui les pousse à tout abandonner pour se lancer dans l’inconnu. Les
planches de Cosey se bousculent dans mon esprit.
Toujours sur la plage. Avant de partir, je remarque des tuyaux bleus qui offrent un sujet de
photographie intéressant. Mais en moi, l’histoire de Johannes et de Ben résonne encore. Un jour, je me
dis, l’oeil rivé dans le viseur, j’écrirai un livre sur cette histoire.
Les journées s’enchaînent sans que je ne puisse vraiment savoir comment je les ai concrètement
remplies. Nous parlons beaucoup, mangeons beaucoup. Nous passons nos matins à boire des iced
coffee sur les terrasses des restaurants qui abondent. J’en profite pour écrire, il semble méditer,
disparaît parfois puis revient, une sorte de sourire mystérieux aux lèvres.
Pour la première fois depuis longtemps, je prends l’habitude d’éteindre mon téléphone lorsque j’en ai
plus besoin.
Une sorte d'insouciance contagieuse me saisit. Je suis hors du voyage, je suis dans un nouveau voyage.
Le temps s'étire, perd de sa consistance. Demain, hier. L'avenir s'arrête au lendemain, à l'heure
suivante. Une douce euphorie.
Plus rien n'a d'importance.
Un soir, sur une plage donnant sur le coucher de soleil et après être passé au fameux reggae bar, nous
passons une soirée mé-mo-ra-ble (j’insiste profondément sur le dernier mot). Certainement l’une des
expériences les plus folles de ma petite vie. Incroyable exploration. Complètement fantastique.
Je crois que Johannes partage mon opinion. Plus jamais mais :
Le 24 décembre, nous passons tranquillement la soirée sur la même plage que la veille puis nous
mangeons indien. Par vagues, j’observe des touristes revenir du Christmas boat : deux barques réunies
par une grande plateforme en planches de bois, beaucoup de touristes et beaucoup de beerlao - la bière
locale.
C’est le dernier soir que nous passons ensemble, avec Johannes. Déjà. Entre-temps, nous avons changé
de QG : nous trouvons une chambre dans une série de bungalow qui jouxte le Mékong. Des hamacs
donnent un point de vue superbe sur le coucher du soleil.
Demain, il pense traverser l’île que j’ai traversé la veille en vélo puis il projette de rejoindre le nord du
Laos en faisant du stop. Pour ma part, je sais que je quitte sûrement le pays ! La frontière avec le
Cambodge est bien plus proche que ce que j’avais imaginé, il est donc très probable que je la
franchisse demain.
Cette simple constatation m’emplît d’une curieuse mélancolie qui ne veut s’en aller. Quitter le Laos,
déjà ! J’ai l’impression que c’est passé si vite… Et je me sens si bien ces derniers jours, j’ai peur qu’en
quittant ce petit paradis, mon état euphorique et enthousiaste disparaisse avec les changements de
paysage, avec le retour de l’inconnu, de l’effort, des imprévus.
Laissons ça à demain.
Cette nuit, je rêve de montagnes et de Jonathan.
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
Six heures. Je n'ai pas dormi de la nuit. Pas l'envie. Je sors doucement de ma chambre.
10 janvier 2023. Je m'apprête à me lancer dans mes derniers jours de voyage. Mon objectif : Kep, un petit village balnéaire où je finirai mon itinéraire.