Les rives du Mékong

par Simon Bérard · 14.12.2022

Apres cette journée de repos à Vang Vieng, je sais qu'il est temps de repartir.

Je me rends compte avant de m'en aller que je ne trouve plus de crème solaire. Tant pis, j'en achèterai
peut-être sur la route. Le temps de boire un peu d'eau en guise de déjeuner, et je suis parti. Je quitte le
petit îlot de verdure tranquille dans lequel se trouvait mon bungalow pour les routes rouges de
poussière et de chaleur endormie.

La verdure repeuple progressivement mon champs de vision. Les paysages sont tout de même plus
secs que durant mes premières étapes et cette constation me fait plaisir : cela signifie que je progresse.

Après quelques kilomètres, la route se met à longer le Mékong. Il fait aussitôt plus frais et l'avancée se
fait plus agréable. Les stands de nourriture se garnissent de poissons, de crabes. Je croise des pêcheurs
tirant leur barque jusqu'à l'eau, des seaus où se tortille frénétiquement la pêche matinale. Et partout, de
grandes tours métalliques étendent leurs câbles électriques à travers les doux reliefs de la région.

Je mange sur une terrasse à quelques pas du fleuve. Les nuages cotonneux s'y reflètent comme dans un
miroir. Seuls les emballages en plastique multicolore indiquent vaguement l'existence d'un courant.
Les déchets s'en vont vers de nouveaux méandres tandis que d'autres les remplacent, dans cette lente
course vers l'infini.

Une petite fille m'amène le repas, grondée par sa mère qui lui tonne des ordres toutes les cinq minutes.
Elle s'exécute sans conviction, sans même me regarder, tenant mon bol de soupe dans une main et son
téléphone dans l'autre.

En début d'après-midi, la route m'emmène vers une autre voie, grimpant à nouveau dans les collines.
Moins vertes, cette fois-ci. En effet, des bandes brunâtres, hirsutes d'herbes sèches et rugueuses,
colorent progressivement la nature dont les teintes vibrantes s'éteignent peu à peu. Je suis témoin d'une
longue transformation que j'observerai jusqu'à Vientiane.

Je ne sais toujours pas où je dormirai ce soir mais je repère sur la carte une agglomération à quelques
dizaines de kilomètres. Lorsque j'y arrive, le soleil décline déjà. Je prends une chambre dans la seule
guesthouse du coin, juste en face d'un grand édifice bleu clair dont la fonction m'échappe. Il détonne
complètement avec la rusticité du village - car oui, ce n'est finalement qu'une minuscule ville -
composés de modestes façades poussiéreuses, sans aucune prétention architecturale.

Après m'être installé, je me met en quête d'un restaurant. Les habitants me regardent tous avec de
grands yeux curieux. Normalement, aucun touriste ne s'arrête dans leurs rues. Compréhensible
puisqu'il n'y a pas grand chose à voir, si ce n'est la fin du crépuscule avec vue sur les rails du train
chinois et les montagnes en fond.

J'atterris dans un restaurant tenu par une famille chinoise. Je suis le seul client. Deux des serveuses
attendent religieusement que j'aie fait mon choix en se postant à ma droite et à ma gauche, à moins
d'un mètre de moi. Je leur fait signe que je vais prendre mon temps mais elles me sourient poliment,
tout en esquissant aucun geste. Je n'insiste pas. Sous pression, je fais mon choix sans trop de réflexion :
le plat n'est pas terrible.

Le soir, j'essaie d'obtenir le mot de passe du wifi de l'auberge - d'ailleurs, je suis également tout seul.
S'ensuit une discussion sans fin où la gérante tente de me comprendre. Au début, elle fait mine d'avoir
immédiatement saisi ma demande : elle disparaît dans la réserve puis revient sans un mot avec une
bouteille d'eau. Elle me la donne puis s'en va. Je reviens à la charge en la remerciant pour la bouteille
mais en répétant "wifi ? Connexion ? Internet ?", tout cela avec de grands gestes reliant mon téléphone
avec le ciel, vers de fictifs satellites. Je lui montre ensuite mon téléphone dans le menu correspondant.
Elle prend mon écran, enlève ses lunettes, remet ses lunettes, l'éloigne en tendant le bras et marmonne
quelques mots, comme des incantations. Sa tête se fige, puis elle se remet à parler. Elle finit par
disparaître dans la cuisine, toujours avec mon téléphone. Son mari vient à la rescousse à grand renfort
d'hurlements et, heureusement, il comprend tout de suite ce que je cherchais à obtenir.

Au moins, j'ai gagné une bouteille d'eau dans l'histoire.

Je m'endors avec le son étouffé d'un karaoké au loin.

Laissez un commentaire

Le commentaire sera soumis à la validation d’un modérateur. S’il est conforme à la charte il sera publié sur le site. Votre adresse de messagerie ne sera pas rendue publique.
Merci, votre message a bien été envoyé.
Une erreur est apparue, merci de contacter l'administrateur du site.