Le sommeil de Vientiane

par Simon Bérard · 07.12.2022

Premier jour, enfin, après-midi.

Je me lève à midi après avoir repoussé le moment du réveil le plus tard possible. La fatigue me cogne les tempes et me laisse une sensation désagréable de mollesse dans le corps.

Je sors le plus rapidement possible de ma chambre. Arrivé dans la rue, le soleil me redonne des forces. Je me promène. Je m’attendais au chaos, je me suis bien trompé : la capitale est à l’inverse de ses voisines tumultueuses et bondées.

Quelques voitures à peine naviguent dans des rues bien trop larges et, même dans les grandes artères, les bouchons sont rares. Le palais présidentiel et son immense jardin, les vieilles résidences françaises qui lentement tombent en décrépitude - Vientiane était une colonie française - , le parc jouxtant le Mékong aux langoureuses plates-bandes verdoyantes, le marché silencieux, l’étonnement des touristes qui semblent perdus devant cette surabondance anormal de calme et de vide ; tout dégage une impression de lassitude, d'engourdissement. On imagine une vieille dame, nonchalante et fatiguée qui soupire, allongée sur le bord du Mékong.

La ville est comme plongée dans un long sommeil. Elle me fait penser à mon état de ce matin, lorsque je n’arrivais pas à sortir du lit.

Je mange dans un restaurant ouvert sur la rue. En face, je remarque encore une pancarte en français : « café France ». Ces inscriptions sont partout dans la ville, surtout lorsqu’il s’agit de nourriture mais on les remarque aussi en grand sur les bâtiments publiques comme la faculté de médecine ou le ministère des sports. Je lis que même si le français disparaît peu à peu des bancs des écoles en faveur de l’anglais - plus international - , la langue est encore beaucoup utilisée dans le milieu administratif ou médical. On prévient les touristes malades en leur disant que si le pharmacien qui leur fait face ne parle pas français, c’est qu’il doit forcément être un imposteur et qu’il n’a jamais suivi la moindre formation (beaucoup de contrefaçons répliquent jusqu’au goût et l’odeur des médicaments et sont parfois vendues dans des établissements qui ont l’air tout à fait correctes). Je range cette information dans un coin de ma tête.

Au coucher de soleil, j’entends de la musique qui provient de la berge. J’arrive sur place et je découvre le marché de nuit, puis la fête foraine, pleine de couleur et de cris d’enfants. C’est une explosion de couleurs et d’odeurs. Des stands envahis de néons clignotants proposent du tir au ballon, du coloriage de statuts de plâtre, des entrées dans de grands châteaux gonflable… Il y a également de larges échoppes où l’on trouve toutes sortes de nourriture et de petits espaces où s’agglutinent les familles heureuses, sur de petites chaises en plastique rouge, jaune, vert. Au centre trône la roue clignotante qui tourne paisiblement, sous l’oeil reposé des silhouettes assises qui observent doucement la scène depuis une l’estrade.

Je suis frappé par la tranquillité de la scène. Je fais quelques pas dans ce monde de couleurs, les gens
sourient ou ne m’accordent aucune attention, ce qui me met assez en confiance pour faire quelques
photos.

J’essaie le plus possible de paraître respectueux, quitte à parfois laisser l’appareil dans sa sacoche au lieu de le dégainer vulgairement comme un voleur. J’ai souvent eu cette sensation de malaise lors de La grande roue mes essais photos : c’est difficile de se sentir légitime, correct vis-à-vis des personnes que je capture dans les cages du numérique. Leur image, fixée à jamais dans un boîtier ou dans un recoin obscure d’un ordinateur, sans que jamais ils n’aient même remarqué ma présence. Je comprend que cela puisse gêner.

Alors je tente gentiment de demander, ce qui se solde par des échecs cuisants : ils me regardent tous avec de grands yeux, comme si j’étais sur le point de les réprimander. La plupart ne parle aucun mot d’anglais. Ils me sourient, gênés, mais toujours désireux de bien paraître. Après quelques tentatives d’explications gestuelles, je me dis que je deviens ridicule.

Je rentre heureux de ma découverte, encore imprégné de cette atmosphère irréelle et si touchante. Un petit nuage me suit jusqu'à la chambre : ma première journée est une grande réussite.

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