L'arrivée

par Simon Bérard · 05.12.2022

J’y suis.
Trois mots, creux. Tout et rien dire. Je me les répète en boucle dans la tête avec le peu de volonté qui me reste, comme si je voulais me les imprimer dans l’esprit à coup de marteau.

Je suis éreinté : passent encore les 12 heures de vol de Zurich à Singapour, l’attente à l’aéroport, le deuxième vol jusqu’à Vientiane, mais les 2 heures de file interminable et la paperasse incompréhensible pour le VISA d’entrée au Laos sont franchement de trop. Il faut dire que cette dernière formalité est le coup fatal après un long voyage : dans un grand hall aux murs blancs ternes s’entassent une centaine de touristes plus morts que vivants.
Pour la plupart, ils ont déjà un long vol international et un vol depuis un aéroport asiatique (comme Singapour) dans les jambes. Ils s’attendent à ce que cela soit rapide, « dans dix minutes on est dehors, enfin ». Ils font soudain face à un mur : l’imperturbable flegme des fonctionnaires laotiens. Pas le bon
formulaire ? Retour en début de file. Pas de photo ? Autre colonne. Passeport de telle nationalité ? Changement de file. Trop fatigués pour être énervés, les touristes prennent racine dans cette salle où le temps s’arrête. Pour dire, même l’horloge qui orne le mur central n’avance plus (véridique).

Lorsque le fonctionnaire m'a rendu mon passeport en ne me regardant même pas, je me suis enfui très rapidement, trop heureux de ne pas avoir eu de problèmes comme la famille qui me devançait.

Il ne me restait plus qu’un dernier problème, réglé d’un coup d’oeil en arrivant dans la salle suivante. Mon carton de 141 cm de long, 71 cm de hauteur et de 31,5 cm de large, contenant mon vélo mais aussi toutes mes affaires dont j’allais avoir besoin pour ces 50 jours de voyage, gisait paisiblement au centre du hall. Les employés l'avaient abandonné ici, à côté des toilettes, à une cinquantaine de mètres de l’arrivée des bagages « normaux ».

Il y avait presque quelque chose d'irréel, d’anormal. « Il aurait dû y avoir un problème. Ça ne peut pas être aussi facile », je me suis dit en le disposant le mieux possible sur un chariot. Mais non, c’était bien lui, à peine égratigné sur le sommet. Sain et sauf. Il restait plus qu’à espérer que le contenu serait dans le même état.

À peine sorti de l’aéroport, plusieurs conducteurs m'ont proposé leurs services. J'ai choisi le premier venu dont le visage s'est illuminé d’un large sourire. Ravi d’être « l’élu », il a tourné autour de mon carton, essayant de m’aider comme il le pouvait, tandis que je me démenais pour lui faire comprendre que je pouvais porter mon emballage tout seul - et que c'était par la même occasion bien plus pratique.

Il m'a déposé à l'hôtel, je suis passé à la réception, on m'a conduit dans ma chambre et je me suis assis un moment. Un début de coucher de soleil jetait des lueurs orange sur les murs. La clim était réglée à 16 degrés, je ne me suis même pas levé pour l’éteindre. Je crois que je me suis endormi sur mon fauteuil car lorsque j'ai quitté ma chambre pour aller manger avant de dormir, il faisait déjà nuit.

La ville était calme. J'ai pensé à ce qui m’attendait ensuite. Dans l’avion, en quittant les nuages pour entamer la longue descente, j’avais eu un aperçu des paysages que j'allais traverser. Des routes de terre oranges, des petites agglomérations se répartissant entre les forêts et les champs immenses. Je me rappelle avoir eu soudainement une grosse décharge au niveau du corps : « j’arrive, je vais le faire, c’est maintenant ».

Mais en revenant en direction de l’hôtel, dans le silence, mon esprit était trop brumeux pour penser à quoi que ce soit. Juste le temps d’écrire ces lignes, de me brosser les dents puis de me coucher.

Avant de dormir, je pense encore :
C’est étrange, je ne suis pas stressé mais j’ai quand même une boule qui me serre le ventre. J’ai tellement d’inconnu devant moi. Je ne sais pas du tout à quoi m’attendre, comment je vais gérer l’effort, le stress, la solitude, les situations géniales comme les moments difficiles. Je ne sais rien. Pas une seule idée sur le voyage qui va lentement se dérouler.
On verra bien, demain.
Maintenant, il faut dormir.

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