Fin et remerciements
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
par Simon Bérard · 11.12.2022
Dehors, à l’aube, avec le polonais. Nous partageons les bananes que m’avaient donné les quatre
hommes de la veille. Aucun de nous deux ne parle. La nuit a été difficile. Le matelas, véritable tapis
de fakir, nous lançait ses ressorts de métal comme les milliers de lances d’une armée minuscule. De
plus, jusqu’à tard dans la nuit, un groupe de laotiens s’est adonné à une pratique malheureusement très
courante ici : les karaokés. Impossible de fermer l’oeil lorsque la voix braillarde d’un lao alcoolisé fait
vibrer l’air. Ma mâchoire se serrait à chaque refrain (c’est là qu’il débridait complètement, simplement
des hurlements gutturaux dans le micro, parfois entrecoupés de rires gras).
Maintenant le village est comme assourdi. Quelques scooters traversent la rue principale en crachotant,
suivis de camions chinois - je me demande s’ils leur arrivent de s’arrêter - qui repoussent les chiens
errants sur les bas-côtés.
Nous nous disons au revoir, le polonais et moi. Une grosse poignée de main, un « bonne chance », et le
voilà déjà partit. Je le regarde s’éloigner, au fond de la rue. Il disparaîtrait. Belle rencontre. Nous
venons de mondes différents, je ne peux même pas imaginer à quoi ressemble sa vie. Mais nous avons
simplement partagé quelques mots, une bière, un soir anonyme perdu dans une ville quelconque.
Je lui souhaite le meilleur.
Je reprends la route. Je sais ma journée plus courte que la précédente alors je prends mon temps en
tentant de filmer de façon originale. Généralement, ça ne donne absolument rien mais parfois, un plan
sort du lot ! On peut citer le remplissage de mon verre par deux glaçons et du pepsi, sous l’objectif
grand angle de ma gopro. Paysage déformé par l’incurvation du contenant, suivi de deux masses
creuses qui tombent tour à tour dans le champs de vision, pour finir par la douce montée du liquide
bouillonnant, couleur rougeâtre de lave en fusion. Le plan se termine lorsque je saisis ma boisson, très
fier de mes expérimentations.
Parfois cependant, mes tentatives cinématographiques frôlent le drame. Alors que j’avais coincé ma
gopro sur ma sacoche, la caméra glisse vers l'avant dans le soubresaut d’un nids-de-poule - forcément,
j’étais concentré par le rendu sur l’écran. L’une des lanières est heureusement restée accrochée. La
caméra pend mollement dans le vide, à quelques centimètres du sol où de méchants cailloux étaient
prêts à l'engloutir.
Lors d’une première halte, je rencontre un lao sur son scooter, professeur d’anglais, qui me demande si
je veux passer dans sa classe aujourd’hui pour parler de mon voyage. Après un moment d’hésitation, je
refuse poliment mais le remercie de sa proposition. Son but, me dit-il, est d’inviter le plus possible
d’étrangers pour que ses élèves développent une vision plus large du monde. « Souvent, ces enfants ne
quittent même pas leur village natal. »
Autre pause, avec vue sur les douces collines verdoyantes. La nature, les villages de cette région évoquent des souvenirs d’enfance : les films de Miyazaki. Les enfants se courant après, la campagne nonchalante, les modestes demeures en bois. Les paysages semblent irréels, tout droit tiré d’un rêve dans lequel on se laisse entraîner, les yeux mis-clos.
À midi, las des cols mais heureux de ces visions enchanteresses, je mange dans un restaurant auquel on accède en traversant un ruisseau, sur un magnifique pont en planches. Quelques familles réunies autour de gros bols fumants partagent leur repas au son de la rivière. Je profite du calme pour me masser la nuque qui commence sérieusement à me tirailler.
Juste avant mon départ, deux hommes m’invitent à m’asseoir auprès d’eux, leurs femmes sont sur le rivage avec les enfants.
La baltique, mer stratégique ; Ukraine et révolution, pour finir par les hiéroglyphes mutilés me bercent
jusqu’à ma ville d’arrivée : Vang Vieng. Je ne comprend absolument rien aux podcasts que j’écoute
mais ils créent un flot ininterrompu sur lequel mon cerveau peut se brancher. Mode automatique. La
route s'est également dégradée : je roule sur de la caillasse en étant prudent pour éviter tout dommage
qui me retarderait bien plus durablement.
À mesure que Vang Vieng s’approche, fleurissent partout en bordure de route de grandes pancartes
publicitaires pour des tours en bateaux, des locations de scooters, de quads, des visites de cascades
accompagnées d’entrées dans des boites de nuit. L’arrivée en « civilisation » est triste à voir. Ma
première impression de l’endroit n’est pas flatteuse. Lorsque je tourne au hasard dans les rues pour
trouver une guesthouse, je tombe sur plusieurs auberges où s’entassent les touristes, bières à la main,
musique à fond, parlant et riant à un niveau de décibel plus qu’insupportable. Tout ou presque est fait
pour attirer l’oeil, les couleurs criardes s’invitent sur toutes les façades.
Je quitte le centre, repère un pont qui mène de l’autre côté du Mékong. Le guide du routard
m’emmène à proximité de la campagne, dans un immense complexe de bungalows enveloppé d'un
jardin luxuriant. Un vieil australien a l’air surpris de me voir passer le portail. Dans son anglais
incompréhensible, il me déniche un petit cabanon surplombant une rivière et ouvrant sur une vue
dégagée des montagnes.
Le soir, j’aperçois un homme à la terrasse à ma droite. On se présente puis tout de suite : français ? Oui !
La discussion devient tout à coup bien plus fluide. On parle, lui couché sur son hamac et moi, affalé
sur une confortable chaise en bois.
Normand, la trentaine, plus rien ne le retenait en France après avoir rompu une longue relation. Dans
le ciel, deux montgolfières s’orangent sous le crépuscule.
Petit message de fin : Bon. Voilà. C'est la fin de cette aventure et par la même occasion, le dernier post de ce blog qui fut une belle expérience d'écriture.
Six heures. Je n'ai pas dormi de la nuit. Pas l'envie. Je sors doucement de ma chambre.
10 janvier 2023. Je m'apprête à me lancer dans mes derniers jours de voyage. Mon objectif : Kep, un petit village balnéaire où je finirai mon itinéraire.