Coupe du monde !

par Simon Bérard · 22.12.2022

Nouveau départ !

J’enfourche mon vélo pour 40km. Ma prochaine étape, une petite ville tranquille au bord du Mékong
qui n’est qu’à quelques heures de ma position.

Pour la première fois, je mets mes écouteurs et au lieu des habituels podcasts, j’écoute de la musique
électronique. Révélation. Je carbure comme un fou au son répétitif des kicks qui me donnent la
cadence. Petit drop bien maîtrisé : grosse décharge d’énergie en hochant la tête au gré du rythme.

Viennent les hats en contre-temps, atténués par ces mélodies étranges, ces instruments inconnus
impossibles à décrire, ces nappes sonores mouvantes et caressantes…

Et les paysages sont magnifiques. Après la traversée du pont qui quitte la ville, la campagne prend le
pas. La route file au milieu d'immenses champs d'herbes sèches. Comme de grands colosses, une
longue chaîne de montagnes accompagne de loin l'avancée du Mékong qui se déroule à ma gauche,
jamais trop loin mais jamais assez proche pour que j'en puisse avoir un réel aperçu. Au loin, j'observe
un enfant courir, poursuivi par son cerf-volant en plastique.

À midi, j'arrive déjà à Champassak, l'objectif de la journée. Je mange une soupe de poisson avec une
belle vue sur le fleuve que je retrouve enfin. Comme plus haut, dans le nord, c'est tout une vie
minuscule qui apparaît progressivement aux abords de l'eau. Au début, rien ne semble bouger. Puis, au
fond, une barque et son pêcheur. Un oiseau. Une bande d'enfants qui s'égaie sur le rivage. Une famille
qui mange sur sa terrasse.

Je ne fais que quelques mètres et je croise déjà un bar à l'allure sympathique où je guigne le menu. Je
ne sais pas encore où je dors ce soir mais la ville est adorable. Paisible et tranquille. Plusieurs hôtels
bordent le Mékong et proposent des prix plus ou moins abordables. J'hésite à m'arrêter pour siroter
quelque chose, de toute manière j'ai tout le temps du monde.

À la table devant moi, j'entends parler français. Je leur demande s'ils recommandent une boisson : ils
m'invitent immédiatement à leur table. Un couple dont j'ai oublié le nom et David, un voyageur
solitaire qui me fait beaucoup rire, parfois sans faire exprès.

Le sujet passe sur le match de ce soir : la finale ! Argentine - France. J'avais complètement oublié. Ils
me disent qu'ils partent pour Pakse pour voir le match, tu veux venir ?

Après avoir laissé mon vélo dans un hôtel à proximité, je me retrouve sur une moto lancée à furieuse
allure qui bombarde sur les chemins de terre. Il est vrai qu'après n'avoir connu que la lente progression
du vélo, autant de vitesse peut donner le vertige. Je m'accroche à David qui fait semblant d'éviter les
nids de poule - pas assez de temps pour les contourner.

Une traversée de barque et une longue montée plus tard, nous nous retrouvons à quatre au pied d'un
immense bouddha qui surplombe Pakse. Le coucher de soleil est magnifique. Les reflets de lumière
confèrent à la statue une aura anormale, une présence chatoyante. Et qu'est ce que ça fait du bien de
parler après ces jours de solitude ! J'avais sous-estimé le bienfait des discussions ordinaires, de la
simple gentillesse. On ne se connaît pas mais un passe un bon moment. C'est tout.

Malgré le froid qui commence à devenir quasiment douloureux - j'ai oublié de prendre un pull avec
moi - , le moment est délicieux. Dans la descente, sur le scooter, j'ai une formidable impression de
liberté.

n mange dans un restaurant italien, David et deux inconnus. Français, bien sûr, ils sont à chaque coin
de rue dans la région. Lucas, à ma droite en face, vient du sud. Il nous parle de sa passion : dans les
arènes enflammées non loin de Arles, il crée le spectacle au milieu des taureaux. Il nous décrit son
parcours, le respect que l'on donne à l'animal dans ce milieu bien que l'on puisse croire l'inverse. Il
vient de changer de catégorie et joue maintenant dans des arènes plus prestigieuses.

Gwen, à ma gauche, écrit des poèmes. Elle a longuement habité au nord de l'Afrique avec son père,
elle raconte son enfance de princesse dans un quartier tranquille où l'on sent partout l'odeur des fleurs
d'orangers. Depuis sa naissance, elle a toujours été en voyage.

Une fois dans la rue, il faut se mettre en recherche d'un endroit où regarder le match. Le rooftop d'un
hôtel vide diffuse l'événement, on se retrouve sur le toit avec une trentaine de personnes qui chantent
la Marseillaise. Quelques laotiens sont également présents, complètement fous - ou alcoolisés. Par àcoups,
ils se mettent à chanter en nous filmant ou en levant leur bière. Tout le monde se prend au jeu à
coeur-joie.

Le match commence, mal. Penalty, on siffle, on hurle, on critique l'arbitre. Messi est la cible de toutes
les critiques. Peut-être qu'il ne nous entend pas car il marque sans problème : 1-0. L'ambiance ne se
refroidit pas pour autant. On discute, on parle des itinéraires, des cascades à faire ou à ne pas faire, des
boucles de scooter, des locations de scooters, des accidents de scooters. Je découvre qu'ici, tous les
touristes louent un scooter.

2-0, un fan parle tout seul, invective Deschamps, pense aux meilleurs formations, aux erreurs tactiques
des joueurs qu'il aurait fallu corriger dès le début. Tout le monde, même les plus néophytes, se
transforme en spécialiste sportif dont l'avis très savant aurait pu faire changer le cours de la partie.

Heureusement le ton change : la France revient à égalité et les prolongations débutent. Une euphorie
monte, impossible de résister. À chaque action adverse, c'est toute une vague de protestations et de
"non!" qui parcourt la petite foule. Au contraire, lors d'une échappée favorable, c'est les cris, les
encouragements, les yeux qui s'écarquillent. Comme un seul homme, comme des amis d'enfance.

La fin du match arête d'un coup cette magie qui avait mis plus d'une heure et demie à lentement se
construire. Les gens s'entassent dans l'ascenseur, sortent de l'hôtel, se remettent en groupes respectifs,
puis lentement, après de derniers au revoir, la foule se dissolve d'elle-même, épuisée, sans plus aucune
raison d'exister.

Seul le foot permet ces moments de communion parfaite, de ferveur presque religieuse, où l'on se
plonge d'abord avec distance en souriant doucement pour ressortir abasourdi, sonné, même surpris de
cette effusion qui gagne même les plus sceptiques. On se sait un peu idiots, mais on s'acharne sur
l'arbitre, on se prend au jeu des commentaires savants, des impressions plus que douteuses sur des
théories tactiques fumeuses. Et finalement la défaite n'importe peu. Seule cette euphorie compte.

Je m'endors dans une auberge à Pakse, complètement glacé sous ma maigre couverture. Il fait
terriblement froid. Mais la journée était trop parfaite. S'il faut frissonner un peu pour en revivre
d'autres comme celle-ci, je suis prêt.

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