Rencontre au Skate Park

par Elie Meuret et Gilles Courvoisier · 20.07.2023

Azeddine,
Il porte le maillot numéro deux de l’équipe du Maroc, il est professeur de maths et espère finir ses études d’informaticien en Italie, il est drôle et nous donne ses conseils quant à l’arabe et notre marque. Azeddine, c’est une rencontre faite au skate-park de Taghazout. Il est « très fier de notre travail » et nous rassure
quant à notre peur de l’appropriation culturelle. Azeddine, c’est le souvenir d’un tajine partagé et d’un moment de rire libérateur. Cet homme que je ne reverrais sans doute jamais est aussi celui qui nous a appris à faire du thé et ça, ça n’a probablement pas de prix.
Azeddine, je te souhaite le meilleur pour ta vie future. Peut-être que nous nous reverrons ici ou en Europe. En attendant, ne t’arrête pas de sourire.

Un rapport au temps différent. Pourquoi courir après le temps, alors que sans cesse, nous cherchons
à le tuer ? Divertissement paradoxal. Dans ces instants marocains observés, il semblerait que le temps ait une consistance différente que celle dans nos pays ultra modernes, dangereusement évolués. Ici, le temps est long et beaucoup de ces inconnus rencontrés rythment leur temps à travers les réseaux sociaux et notamment ces courtes vidéos qui, réunies atteignent rapidement plusieurs heures. Les dangers du temps fragmentés.
Là où en Europe la population se divise entre dévouement total pour la productivité ou alors délaissement complet dans ces divertissements éphémères et magiques car ayant le pouvoir de dilater le temps, ici, ce temps insaisissable balance entre reels et appels à la prière.
Au fil des heures qui passent et qui ironiquement déconnectent ces personnes du temps, parfois résonnent au loin la mosquée qui rappelle à tous les hommes que nul ne peut échapper au temps, son rythme intelligible et ses obligations. La puissance et la beauté du voyage sont de relativiser ses croyances et voir le monde sous un nouvel angle, un nouveau jour. Le voyage implique nécessairement une métamorphose.

Azeddine, c’est une rencontre en trois temps. Trois soirées et trois plats partagés et pourtant, ne saisir qu’une infime partie de cet homme à l’humanité débordante.
Azeddine, il a 27 ans, et toute sa vie, il a travaillé pour aider sa famille à vivre. Autrefois professeur de maths et aujourd’hui dans le bâtiment, cet homme vient tous les soirs sur la colline qui domine Taghazout pour y rencontrer des gens et peut-être, s’extraire de son quotidien. Sans un mot, nous nous y sommes donnés rendez-vous trois soirs et trois fois, nous sommes redescendus pour aller partager des rires ainsi qu’un repas vigoureusement négocié.
Entre ses conseils quant à la cuisine marocaine, nos questions quant à ses passions ou alors simplement des rires, Azeddine nous fit part de son rêve. Partir par la Turquie en Italie et travailler pour mieux vivre ; cesser de simplement exister. Si ce rêve est bien sûr subordonné à une certaine forme de fuite d’un pays auquel il est difficile de se projeter et se construire, celui-ci n’est au contraire, pas un cri d’agonie. Non, Azeddine ne se lamente pas de sa condition. Jour après jour, il continue de dresser fièrement son sourire et porter ce
même maillot du Maroc, signe d’une certaine appartenance à un pays qui selon lui, n’offre que trop peu d’espoir. Quoi qu’il en soit, Azeddine est croyant et pour lui, tout est de l’ordre du destin. La nature et le destin, tels sont ses mots d’ordres.
Azeddine aime nous écouter parler de notre condition qui, à force de comparer, est heureuse. À quoi bon s’inquiéter, notre futur est quasi assuré. D’un côté, le nôtre, la culpabilité de se lamenter sur nos quotidiens et de l’autre, le sien, une forme de gaité vis-à-vis du fait de s’imprégner d’une réalité qu’il espère
bientôt embrasser.
Azeddine a été une leçon d’humanité et d’humilité. Entre espoir et religion, Azeddine m’a appris indirectement – car je ne suis pas sûr que cela ait été son intention –, à me satisfaire de ce que je possède, ou du moins de m’en rendre compte.
Azeddine, c’est cet homme rencontré autour de trois instants. Il reste un aperçu, un mystère. Il est un de ces heureux mystères permis par la rencontre. C’est précisément cette magie qui nous permet de saisir une once de l’instant.

Laissez un commentaire

Le commentaire sera soumis à la validation d’un modérateur. S’il est conforme à la charte il sera publié sur le site. Votre adresse de messagerie ne sera pas rendue publique.
Merci, votre message a bien été envoyé.
Une erreur est apparue, merci de contacter l'administrateur du site.