Fin de voyage et projet Chimère

par Elie Meuret et Gilles Courvoisier · 12.08.2023

Afin de poursuivre notre projet de marque de vêtements, nous aimerions créer une nouvelle collection aux motifs inspirés de l'art de cette région du monde, cela, avant de partir. Sur place, le but sera de réaliser la promotion de notre marque en créant une campagne de publicité dans les paysages de notre création. Evidemment, le but d'une telle initiative n'est pas de s'approprier une culture mais plutôt de la mettre à l'honneur à travers notre regard et nos essais graphiques. Nos objectifs sont de marquer une certaine passion pour l'art de cette région du monde et c'est pour cela que la campagne de publicité réalisée sur place s'intéressa plus directement à la culture locale plutôt qu'à nos vêtements. C'est pour ces raisons que tous les gains seront reversés à une association locale. 

Partir pour un mois de voyage dans des lieux dont nous avons tout à apprendre, c’est s’offrir la chance de découvrir, s’essayer à la tentative de saisir ce qui nous entoure sans pour autant jamais y parvenir. Le voyage est une errance précisément parce qu’il est impossible de saisir entièrement un lieu et ses êtres. Il est une errance positive. Le voyageur apprend à contempler le paysage de ses marches, il s’imprègne pour se souvenir, raconter peut-être. Partis avec pour seule raison une attirance pour l’atmosphère du Moyen-Orient et ses représentations, nous avons visité une partie du Maroc l’imaginaire rempli d’images et de récits de voyage. Le temps et les chemins nous ont progressivement appris à nous détacher des mirages pour simplement contempler ; vivre le voyage. Le voyage ouvre inexorablement les coeurs ; il inspire, il élève. 

Je suis le piéton de la grande route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre
mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant. 
Arthur Rimbaud, Enfance, Illumination.

 

Nos routes nous ont ainsi permis de découvrir une infime partie d’un pays aussi riche de paysages que d’influences. Outre ces paysages qui ont défilé, ce sont surtout les rencontres qui ont marqué ces lieux en nos mémoires. Ali, Peter, Patrick Manac’h, Azeddine, Abdo, les enfants du skatepark, tant d’autres, tous les passants. Le voyage nous oblige. Ces rencontres ne sont que celles d’un instant plus au moins long. Aussi fort puisse être le lien qui vous lie à une rencontre, le voyage vous contraint à lier des amitiés de passage. On y repense parfois avec mélancolie mais ce sont ces rencontres qui sont peut-être les plus authentiques. Les masques tombent puisque le temps est compté ; on se présente comme nous nous considérons au moment du partage ; enfin, on profite de l’instant. Demain, le visage se dissipera et peut-être seul le souvenir restera : « Je perçois bien dans cette diversité, dans ce désordre, la présence d’une personne, mais sa forme semble presque toujours tracée par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une
image reflétée sur l’eau . » (Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien)

 

Ces rencontres pour la plupart spontanées nous rappellent que la vie et ses hasards est elle aussi un voyage ; elle n’est que de passage. Ainsi, ces rencontres nous apprennent à investir nos relations tout en sachant que peu importe si la vie est plus longue que le temps du voyage, elle se doit de les investir au sein du moment présent. Elle est trop courte pour remettre ses rencontres à demain. Si ces rencontres ont une aussi grande importance dans le voyage, aussi est-ce sans doute pour les leçons que le voyageur en tire. Des rêves, des connaissances, des poèmes ou des rires, la rencontre nous ouvre à de nouveaux mondes ; des mondes au-delà de la géographie du monde physique, celui de leur monde intérieur. Le voyage est une découverte des différentes perceptions des réalités et des sensibilités ; l’autre est un livre ouvert.

 

Mais ce voyage a aussi été la possibilité de s’interroger sur nos propres valeurs ainsi que les valeurs même du voyage. Qu’est-ce que voyager ? Faut-il être passif, actif et profiter des ressources que les lieux nous offrent ? Que garder ensuite d’un voyage et de ses découvertes ? Comment se positionner par rapport à une culture qui n’est pas la nôtre ; quelle est notre place en tant que voyageur ? Ces quelques questions
ont suivi nos routes tout au long du voyage et se posent encore aujourd’hui. Pour ce voyage, nous avons voulu faire quelque chose de la matière de nos visions. Du rêve et des perceptions, créer. Sous l’effigie de notre collectif, nous avons désiré en quelque sorte rendre une partie de nous-même aux lieux qui nous ont accueillis ainsi qu’à ses êtres qui nous ont parfois guidés, éclairés ou inspirés. Le voyage est partage ; dans un sens très certainement, dans l’autre probablement. Alors, nous avons réalisé une collection avec l’association du skatepark de Taghazout à qui nous avons reversé l’entier des bénéfices. Ce n’est certes pas grand chose, un geste infime sans doute. À notre échelle, cette collection nous a permis de transcrire nos expériences et de les partager à ceux qui s’y sont intéressés. Le souvenir se doit peut-être de trouver matérialisation pour continuer à exister par bribes, cette démarche en a été un moyen. Et puis, à l’échelle de l’association, cela a permis d’acquérir un peu de matériel ; de donner, le temps d’un instant un sourire aux enfants ; qui sait ?

 

La fin du voyage annonce la fin d’un univers qui semble clôt sur lui-même : le voyage a sa géographie et sa temporalité. Le reste n’existe pas et notre vie n’existe plus ; elle ne fait pas partie du voyage. Dès lors que l’on rentre, la vie reprend son cours et l’on se rend compte que rien n’a bougé ; c’est seuls que nous avons contemplé, touché l’ineffable peut-être, mais pour le reste, rien n’est changé : il faut reprendre, se replonger dans ce rythme alors oublié. Alors, la question du présent se pose. Que faire dès lors que certaines choses ont été vues, effleurées, perçues. Le voyage est une métamorphose, il est impossible de s’en retourner de la même manière qu’auparavant. Le regard est différent, quelque chose en nous est changé pour tant de
raisons différentes ; nous rentrons grandis. Les oeuvres autrefois contemplées raisonnent différemment. Certes moins authentiques, elles n’en sont pas moins belles. Il s’agit d’une harmonie nouvelle ; harmonie entre idéal et réel ; un double regard auquel nous avons été confronté. Peut-être que le voyage sert simplement à mieux rêver ; continuer à imaginer tout en voyant ; mêler le réel à la rêverie. Le voyage nous
apprend à apprécier les représentations. Les tableaux en sont d’autant plus beaux qu’ils sont la capture du réel mêlés à des impressions subjectives. La poésie necessera d’imprégner le réel.


Elie Meuret.

 

Photos : Simon Bérard et Gilles Courvoisier.
Dossier et textes : Elie Meuret.

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