Fes

par Elie Meuret et Gilles Courvoisier · 04.08.2023

Il y’a de ces personnes qui, dans la rencontre de l’instant, bouleversent nécessairement votre être. Parfois elles créent des gouffres sur les zones tremblantes de votre être et en d’autres instants, elles inscrivent un moment d’intense bonheur en vos cœurs. Mais peu importe, ces rencontres vous fascinent. Avec un regard admiratif, vous contempler l’autre avec l’impression que de chacun de ses mots naissent des leçons. Leçons de vie. Et puis, persiste le mystère. Ces êtres qui ne sont que des instants ne livrent qu’une bribe de leur être composite, impossible à saisir. Je crois qu’ici réside toute la beauté de ces visions. Elles vous rappellent que jamais vous ne pourrez rentrer en sympathie totale avec l’altérité. Les zones d’ombres persistent et il en ressort un charmant parfum.

Si certains sont curieux, avides de connaître entièrement autrui, je crois à l’inverse que les omissions choisies et réfléchies constituent la beauté des êtres et des rencontres où chaque mot à son importance quant au regard posé sur ces figures à jamais inconnues. La rencontre est assurément faite de silence, de surprise et d’imaginaire. 

Et puis, il y’a Peter. Néo-zélandais et professeur d’anglais, voilà à peu près la seule réalité stable le concernant. Cet homme âgé de 75 ans voyage en dehors de son pays de naissance à travers le monde depuis 1997. Sans ne jamais savoir quelle sera sa prochaine destination, ni même quel sera son temps de passage. Peter voyage au gré de ses envies et des occasions. Après avoir habité douze ans à Shangai où il exercait son métier de professeur d’anglais, il reprit la route pour finalement errer dans les rues de Fes, où nous le rencontrons.Cet homme est en quelque sorte sans domicile fixe à moins que l’on considère que le monde, dans toute son entiereté, soit sa résidence. Peter, c’est cet homme qui a dépassé les frontières et fait trembler le concept d’identié nationale. En fin de compte, c’est autre chose : Peter pense qu’on ne peut pas penser son lieu d’origine ; il n’est pas un voyageur qui parcourt le monde avec une quelconque finalité. Non, il vit simplement dans le monde ; le monde dans toute son immensité.

«I am living the world.»

Nous parlons de tout ; Peter écoute autant qu’il nous éclaire. Il ne parle pas pour rien dire, ses mots sont justes, aiguisés. Peter, c’est des leçons : n’être attaché à rien, ne voir que le positif et voyager - aussi bien dans le monde que dans sa vie -, sans but. Aussi, Peter sait lire dans les gens. Il est intéressant de constater qu’une partie de notre identité n’est qu’apparence et que de l’autre côté, parfois nos mots trahissent notre identité, à moins que ce ne soit réfléchi.

La dernière leçon peut-être de ce soir : la passion est ce qui nous maintient en vie, elle est, peu importe ce sur quoi elle porte, la chose la plus importante, la matière de notre existence. Enfin, Peter c’est la preuve que tout le monde est à un moment où un autre professeur. Nous tous avons tant à ap- prendre non seulement des autres mais également aux autres ; le voyage me le prouve de jour en jour. 

Sur cette terasse surplombant Fes, je découvre peu à peu Peter. J’apprends notamment que ce voyageur qui a fait du monde sa maison a un fils. De cette information sur sa vie, tant de questions me viennent ; chaque être a ses mystères. Assurément, c’est la parole qui est maître de notre identité sociale. Si certains sont curieux, je crois à l’inverse que ces mystères, ces non-dits réfléchis constituent la beauté des êtres et des rencontres où chaque mot à son importance. Les mots entretiennent le mystère de ces figures à jamais inconnues.

Avec ses errances infinies et son constant sourire adressé à la vie, Peter est peut-être la réalisation du surhomme nietzschéen ; à moins que ses voyages ne soient une tentative de fuite. Seul lui le sait. «Que diriez-vous de partir pour une durée indéterminée de l’Alaska à la pointe de l’Amérique du Sud ou de l’Angleterre au Japon ?»

Telle est la question posée par Peter avant que nos chemins se séparent. A vrai dire, si le fait de manquer la rentrée universitaire et l’envie d’étudier me retiennent, cette proposition spontannée a le mérite de changer mon regard sur les choses et le temps. En effet, et si je partais, qu’est-ce que cela changerait ? Ces choses ne sont pas figées. La spontanéité révèle la souplesse du temps et des ses pseudo-obligations.

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