Le commencement

par Elie Meuret et Gilles Courvoisier · 13.07.2023

L’été 2022, je m’en rappelle très bien. Alors que certains de mes amis finissent leur maturité, et qu’ils attendent les premiers examens, je travaille sur mon travail de maturité : la représentation des femmes dans la peinture et la littérature au XIXe siècle. Des portraits, des tableaux orientalistes. Et puis, il y’a eu ce message. C’est Simon, Simon Bérard qui me propose de l’accompagner à la remise des prix du concours des voyages extraordinaires. Cela m’intrigue, j’y vais. Simon remporte le premier prix, une première idée commence à germer. Et il s’en va déjà : 1800 km à vélo, seul. Admiratif, je me dis que moi aussi, je peux me permettre de rêver, mieux, moi aussi je peux oser cristalliser un rêve en un voyage. C’est décidé, pour 2023, je soumettrai un dossier, le monde est ouvert. Et puis, les vacances d’été se terminent, le monde des rêves se ferment ; les professeurs ne manquent pas de nous ramener à la réalité : cette année, ce sont les examens. Alors j’oublie. Le seul vrai voyage sera celui vers l’université. Un jour, lors de la visite du Kunsthalle de Hambourg, je tombe sur un tableau dont j’avais oublié l’existence : La prière de Jean Léon Gérôme (1865). À ses côtés, c’est tout un mur de tableaux orientalistes qui se dressent : Alberto Pasini, John Rogers Herbert, François Antoine Bossuet, Frederick Goodall. Ces oeuvres, pour la plupart de petites tailles, me replongent dans ses douces représentations, cette passion enivrante qui me dérobent et me font voyager en pensée, me font rêver. Une fois rentré, je me renseigne, je contemple et je lis : le cahier de Delacroix, Flaubert, les poèmes d’Abdelatif Laâbi, les grands (et moins grands) récits de la campagne napoléonienne d’Égypte, Chateaubriand, les lettres de Nerval et la pureté des oeuvres de Gérôme et Guillaumet. Toutes ses représentations, ses sensations, ses projections tournent dès lors mon regard vers le Moyen-Orient. L’oeuvre de Guillaumet Laghouat, Sahara algérien aura raison des autres destinations. C’est décidé je veux aller à la recherche de ces représentations, les admirer et les confronter à la réalité. Ce voyage, je ne veux pas le faire seul. Non, le partage est matière essentielle au voyage. Ainsi, ce projet résonne comme le prolongement d’une longue amitié. À l’école ensemble depuis de nombreuses années, partageant le sport et la musique, Gilles et moi avons eu le temps, depuis toutes ces années de nous découvrir mutuellement. Alors oui, à premières vues, tout semble nous opposer ; l’un se passionne d’art, de littérature et l’autre plutôt de sciences. Toutefois, à l’égard de notre amitié, ces différences sont complémentaires et illustrent notre double regard sur le monde et sa compréhension. Le Maghreb est l’occasion de nous ouvrir au monde, de nous rencontrer à nouveau ; le voyage d’une amitié, son symbole en somme.
 

Gustave Guillaumet, Laghouat, Sahara algérien, 1879, huile sur toile, 123 x 180 cm, Musée d’Orsay (Paris).

C’est décidé, ce sera l’Algérie. De là commence le travail qu’est celui des recherches, de l’organisation et, la réalisation du dossier. Une fois le projet ciblé, à savoir celui de dépasser le mythe, capturer nos propres représentations et venir en aide à une association locale en réalisant une nouvelle collection d’habit avec notre collectif, il faut encore planifier le voyage. Alors commencent des appels incessants avec des associations, les ambassades algériennes et suisses ainsi que la tentative de contacter le ministère de la culture : sans résultat concret. Déception. Et puis, nous rencontrons un nouveau problème. Impossible d’obtenir nos visas. Le dossier ayant déjà été envoyé à la Fondation Lombard Odier, il nous paraissait inconcevable de faire autrement ; « et si le dossier est retenu » nous disions-nous, sans encore savoir ce qu’il en serait. Plus le temps avance, et plus les tentatives se vouent à des échecs et nous réalisons que certaines raisons propres à la situation du pays et des temps qui courent font qu’il est plus raisonnable de changer de destination. Finalement, ce sera le Maroc. Certes la destination n’est plus la même mais le projet et le désir restent inchangés. Et puis de toutes façons, il y’a peu de chance que l’on soient retenus. Enfin, c’est l’oubli qui remplaça l’excitation de cette possibilité de voyage. Les priorités changent, les examens s’approchent et la fuite vers le monde et les rêves est remise à plus tard ; ces aspirations que l’on garde dans un coin de sa tête sans véritablement les conscientiser. Elles sont pour ainsi dire, sans matière. C’est dans l’oubli que naissent les plus grandes surprises, les inattendus. Redevenu une rêverie presque enfantine ou romantique de l’adolescent aux désirs de fuite et de découverte, le projet de voyage est soudain rendu réel. Au sein même des mails qui s’enchaînent, - spam, derniers rappels des examens -, il y’en a un qui rapproche la réalité du rêve : notre projet est retenu. Ça y’est, le rêve n’est plus simple aspiration. Nous partons.
Et puis, comme pour boucler la boucle, nous proposons à Simon de se joindre à nous afin de vivre ce projet et ses instants. L’amitié est déjà un voyage ; celui-ci était l’occasion de la renforcer encore un peu plus.

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