Huahine l’authentique, la douceur de vivre

par Thomas Risse · 25.07.2016

Les aéroports insulaires de Polynésie n’ont rien à voir avec ceux des capitales ailleurs dans le monde. Ils sont petits, très ouverts, dépourvus de portiques de sécurité, ils feraient frémir plus d’un Newyorkais. Celui de Huahine est un modèle du genre : un tarmac au bord de l’océan et une maisonnette qui regroupe l’unique porte d’embarquement, la salle d’attente et un bar.

Je débarque à la tombée de la nuit, guidé sur la piste par les hôtesses aux robes fleuries. Je récupère mon sac et me dirige vers la sortie. Je cherche un moyen de me rendre chez Marc dont j’ai trouvé le profil sur Couchsurfing. Il est d’accord de m’accueillir quelques jours. Soudain, une femme m’interpelle. Petite, robe d’été et tiaré dans les cheveux. « Thomas ? » Oui. « Lillo. C’est Marc qui m’envoie, il a plus de caisse. Tu viens ? » Je la suis sur le parking, elle me montre un pickup. « J’ai pas le permis, c’est un ami qui va nous amener. » Je dépose mon sac dans la benne et m’installe à l’arrière.

Au volant c’est Johnny, un Français qui habite ici depuis 2 ans. Il tente de se faire une place dans le milieu artisanal de l’ile en fabricant son propre monoï. Johnny a déjà tout compris, pour percer il suffit d’aller au marché vers 4h30, car c’est à ce moment-là qu’il y a les bons acheteurs. « Il faut se bouger le cul, montrer qu’on est pas fiu comme les autres. » me confie-t-il, entre deux gorgées d’Hinano. Le trajet pour rejoindre la maison de Marc passe par Fare, le plus grand village de l’ile. Lillo m’indique le Super U et le bar. Quelques kilomètres plus loin, la route s’enfonce dans une forêt dense. L’air est doux, on ressent la fraicheur venant des arbres encore trempés par la dernière averse. C’est agréable. Nous prenons une petite allée en gravier au milieu de la végétation. Au bout de celle-ci, trois chiens et Marc nous accueillent.

« C’est pas trop tôt ! Vous vous êtes perdus ou quoi ? » Marc est cash. Nous faisons rapidement connaissance, puis il me montre mes quartiers. « T’as de la chance, il y a personne ces temps. T’as le droit à la grande chambre. Sauf si tu préfères la yourte, mais il y a un nid de guêpes en ce moment. » Je m’installe donc dans la chambre. Il y a aussi des guêpes, mais elles ne sont pas agressives car elles se reproduisent, paraît-il. La chambre est simple, on s’y sent bien. Lillo m’appelle depuis la terrasse, elle a repris sa partie de belotte avec ses amis. Ils jouent éclairés par des bougies, l’ambiance est presque mystique, la Hinano coule à flots. Marc ne joue pas, il préfère discuter avec moi.

Il m’explique qu’il est totalement indépendant : son jardin lui donne des fruits toute l’année, il a une source pour puiser son eau et il produit son électricité grâce à des panneaux solaires. Il est venu s’installer ici il y a 30 ans « pour avoir la paix », loin de la mentalité trop négative de sa France natale. « J’en avais marre qu’on me dise quoi faire, et puis j’ai bien fait de partir, quand je vois ce que la France est devenue ! » L’avantage pour les Français qui veulent s’établir en Polynésie c’est qu’ils n’ont pas besoin de visa ou de permis de séjour, et surtout, ils ne paient pas d’impôts. Quelques milliers de francs suffisent pour construire une petite maison. Pour Marc, c’est le paradis : Il ne doit plus rien à personne. Je lui demande s’il ne s’embête pas un peu, seul dans la forêt. « Mais non ! J’ai du temps pour moi, je peux sculpter, peindre, m’occuper de mon jardin. J’ai pas besoin de plus, moi. » Sur ce, il me présente un livre avec les photos des œuvres qu’il a réalisées ces 25 dernières années.

Je passe la soirée à regarder ces photos dont l’artiste me raconte chaque histoire. Il utilise principalement de la pierre volcanique et du bois de rose qu’il taille pour obtenir des visages et des personnages. Ses sculptures sont disséminées dans toute la Polynésie française ; les vestiges illustrant la vie des anciens polynésiens étant rares, de nombreux musées ont fait appel à lui pour compléter leurs collections. J’apprécie la modestie de Marc, ce qui importe pour lui c’est de créer, non pas d’être connu. « Je crée pour restituer le mana qui est venu en moi lors d’une situation bien précise, je me repose seulement lorsque j’ai tout rendu à l’ile. C’est pour ça que je peux pas faire deux fois la même chose, l’énergie est toujours différente. »

J’arrive à la fin du livre, les photos sont de plus en plus éparpillées. Entre deux pages presque collées par le temps, un cliché isolé m’interpelle.

Ce sont deux hommes, la trentaine, le regard plongé dans le lointain, sur un fond de palmiers. Marc m’explique que, 17ans plus tôt, le musée d’Hiva Oa, aux Marquises, lui avait demandé de sculpter un « Homme Marquisien » pour sa collection. Il s’est alors rendu dans le lointain archipel pour s’imprégner de l’atmosphère, de son mana. Une fois sur place, il rencontra Saake (Jacques en français) qui lui proposa de l’accueillir chez lui, au village d’Hanapaaoa. « Saake c’est un sacré pêcheur. Tous les matins il allait chercher du poisson pour toute la famille. Des fois, on allait chasser ensemble le soir. On rentrait toujours avec une ou deux chèvres sur l’épaule. Un jour, je l’ai pris en photo alors qu’il venait de tuer une chèvre. »

Marc écrit un message en Marquisien au dos de la photo et me la tend. « Il faut que tu amènes cette photo à Saake. » Le moment est assez solennel, je me sens investi d’une mission. Je lui dis que je me rends justement aux Marquises dans quelques jours et que je pourrai apporter le cliché à Hanapaaoa. « Cherche Jacques, Saake, Hiva Oa, Hanapaaoa. » Il me répète cette phrase plusieurs fois, comme un rituel, puis va se coucher.

Je fais de même et m’endors en imaginant la réaction de Saake quand je lui montrerai cette photo de lui, 17ans plus jeune. Décidément, je me réjouis d’aller aux Marquises.

Demain j’ai rendez-vous avec Terii, un guide qui est d’accord de me parler des légendes de Huahine. On ira peut-être faire un tour de l’ile pour qu’il me parle de la diversité de la flore et ses problèmes.

A suivre…

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