Punta Arena - El Chalten

par Giulietta Dunant · 13.05.2016

J'ai quitté Punta Arena dans la matinée pour rejoindre Puerto Natales en bus. Après plusieurs heures de trajet, j'arrivais enfin à destination.

Puerto Natales, un amer mélange de frustration et déception, deux sentiments qui se mélangeaient tout au long de ma traversée en Patagonie. J'avais rebaptisé cet endroit " le Luna Parc des trecking". En sortant du bus je posais pied au centre de ce parc d'attraction. Ici on se préparait, on s'équipait pour une seule chose, vivre des sensations fortes en parcourant les Torres del Paine. Je ne voyais que des montagnes de tentes, de chaussures, de bâtons et autres équipements qui attendaient impatiemment derrière les vitrines d'être loués par des groupes de touristes. Et c'est en masse qu'ils envahissaient les boutiques pour se préparer à marcher sur l'autoroute de trekkeurs. Chaque matin, des cars entiers se remplissaient de touristes pour se diriger à l'entrée de la réserve, tous excités de marcher à la queue leu leu et se concentrer sur des plateformes panoramiques. Le soir ils se retrouvaient tous dans des campements, satisfaits de leur excursion journalière, des souvenirs plein les appareils photos. Le dégoût me montait à la gorge rien qu'à entendre le récit des revenants de ce périple. Plongée dans cette atmosphère, j'avais un sentiment de rage, il fallait que je parte au plus vite et sans même approcher l'entrée du parc, j'ai quitté Puerto Natales.

Je voulais passer la frontière pour retourner en Argentine. J'ai enchaîné les véhicules. Arrivée au poste argentin, une petite cabane perdue au milieu d'une nature déserte, je me suis assise dans un coin, timide, attendant la première voiture susceptible de me prendre. Un grand type est entré, l'air pas très latin, il riait fort et après avoir réglé quelques modalités frontalières, il a chargé mes affaires à l'arrière du pickup. Il a allumé la radio et on a commencé à traverser des immenses plaines caillouteuses. Je me suis vite assoupie et quelques heures plus tard en rouvrant les yeux, le décor était exactement pareil, je n'avais rien raté. La même route droite, déserte, appelée Ruta fin del Mundo, battue par le vent, vide, interminable, monotone se déroulait devant nous et étrangement j'éprouvais une certaine affection pour elle. Passé un col, le lac de El Calafate a surgi devant moi, d'un bleu artificiel, épais, presque chimique qui contrastait avec la morosité des plaines. J'ai été déposée à un croisement. Le vent était tellement fort qu'il m'était presque impossible de me déplacer. J'avais encore 200 km à faire pour rejoindre El Chalten. Une voiture s'est arrêtée plus loin, je luttais contre le vent à chaque pas mais ma planche volait en m'entraînant avec elle.

Le conducteur était un tout petit homme d'un certain âge, avec une casquette de tissu rouge enfoncée sur la tête jusqu'aux yeux. La voiture grinçait de partout, entre le coffre qui ne se fermait pas et le pare-brise fendu. Elle était remplie à ras bord de tas de choses, ça débordait. Il conduisait très lentement en saluant chaque cycliste qu'on croisait, d'un petit signe de la main. Ses yeux étaient remplis de gentillesse. La route faisait des méandres. Je regardais le paysage défiler, des collines rocheuses striées, la route déserte, sauvage; au loin on devinait les montagnes je me sentais dans mon élément. J'étais excitée à l'idée d'arriver à El Chalten, je m'attendais à  une atmosphère montagnarde avec quelques équipes de passionnés de grimpe. Le décor changeait, à l'horizon le Fitz Roy se dressait au pied de la route maintenant devenue  toute droite. Sur le côté un lac reflétait les quelques rayons du soleil qui perforaient les nuages et donnaient en effet d'immenses plaques argentées. En entrant dans El Chalten, l'ambiance était morte, mais je ne baissais pas les bras et je me suis préparée pour mon expédition en montagne.

La marche était longue pour rejoindre le dernier campement au pied du Fitz Roy et plus je m’approchais, plus le vent était fort. J'ai monté ma tente et je suis partie explorer la forêt, enfin seule, jusqu'à me retrouver dans une petite clairière de sable en face du Fitz Roy, glaciale montagne dominante. À chaque rafale, le vent soulevait le sable en tourbillons dansant au centre de la clairière. En suivant le même mouvement, mes émotions se mélangeaient et je me suis mise à pleurer sans savoir pourquoi. En retournant dans ma tente la puissance du vent ne faisait qu'augmenter en crescendo et je commençais un peu à paniquer. Je me suis glissée dans mon sac de couchage et j'ai attendu, j'avais peur, je me sentais seule et le bruit du vent fracassant m'était insupportable. J'avais l'impression d'être au milieu d'un croisement de métro et chaque rafale était comme un train qui grondait au loin pour finalement me passer dessus et secouer ma tente dans tous les sens. Et ce n'était que le début de la nuit.

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