Puerto Chacabuco - Carelmapu

par Giulietta Dunant · 10.06.2016

J'ai ouvert la fenêtre et mon regard s'est perdu dans le paysage, les oiseaux qui tournaient ensemble au-dessus d'un bateau, l'eau qui serpentait entre les collines complètement recouvertes d'arbres bien verts, au loin, une montagne au sommet légèrement enneigé et les nuages qui circulaient au rythme du vent. Les quelques rayons qui s'était frayés un passage donnaient une lumière sépia à cette scène mélancolique. Il pleuvinait, c'était doux. J'étais dans le petit port de Chacabuco au milieu des fjords de Patagonie. J'avais loué une petite chambre au-dessus du restaurant du port. Plus tard, j'embarquais direction le premier port de l'île de Chiloë, Quellon, une ville à mauvaise réputation où les hommes désoccupés attendaient sans savoir vraiment quoi mais sans chercher et oubliant le tout dans la boisson. 

La traversée a duré deux jours et assez vite je m'étais rendue compte que je n'avais pas prévu suffisamment à manger et les dernières heures me parurent très très très longues. Mais la faim ne m'a pas empêché d'apprécier la beauté du voyage. Coincée sur mon petit siège en plastique je regardais le bateau glisser sur l'eau couleur argent glacial entre les fiords sauvages, mystiques, au loin on apercevait le jet d'une baleine.

Ce décor fantastique a disparu à mesure qu'on s'approchait du port. Les pieds sur la terre ferme je découvrais des groupements d'hommes à chaque coin de rue, avachis sur le sol avec leurs bouteilles, en se laissant presque décomposer. Sans perdre une seconde (juste le temps de m'acheter une empanada), j'ai repris la route, le pouce levé pour arriver enfin à Ancud. A peine j'avais posé mes affaires dans une petite hospedaje, que j'étais déjà en route, planche et combi sous le bras, pour ma première session de surf. J'étais surexcitée. J'ai fait du stop pour rejoindre la plage de Guabun. J'ai sauté du tracteur qui m'y avait conduit, je me suis changée en vitesse et j'ai couru rejoindre l'océan. Une vague de liberté m'a envahie. Enfin j'y étais arrivée, j'avais rejoint l'océan et les vagues. Seule. Je regardais l'horizon et la plage désertique. Je me suis mise à rire, sans savoir pourquoi, de joie, de soulagement. Je respirais fort jusqu'à sentir le sel me brûler les narines. Et j'ai pris ma première vague de mon voyage en Patagonie. Je suis restée surfer les plages de la pointe d'Ancud pendant les fêtes, et après ça j'ai remis pied sur le continent en face de l'île.

Un petit bus m'a embarquée jusqu'à Carelmapu, une heure de piste poussiéreuse. Le conducteur était un petit gars avec des grandes oreilles et une épaisse moustache qui recouvrait sa bouche, quand il souriait, on voyait seulement ses dents à travers les poils. Il portait des immenses lunettes pilote. Avec ses petits bras, le volant semblait énorme et il traçait dans la poussière. Il connaissait chaque trou, chaque caillou de la route et les évitait d'un petit coup sec sur le côté. Il m'a conduite jusqu'à la plage. Sa femme m'a souhaité bonne chance et ils sont repartis au village. Quand le nuage de poussière s'était estompé, le bus avait disparu. Je suis partie à la recherche d'un endroit pour installer ma tente et j'ai trouvé une petite clairière en face de la plage. N'ayant aucun matériel pour cuisiner, j'avais pris avec moi quelques avocats, tomates et autres fruits secs, pas grand-chose pour trois jours mais je savais que ça allait suffire, en tout cas j'allais faire tout pour. Seule, retirée de tout, j'ai admiré le coucher de soleil en toute simplicité, enfin loin de toutes mes bêtises et me suis endormie bercée par le son des vagues. Quel plaisir de se réveiller naturellement sans fatigue. L'air frais, l'eau bleue, une légère brise et rien d'autre, personne à l'horizon. Quel plaisir d'aller juste trotter au lever, les pieds dans le sable, se rincer dans l'eau fraîche et surfer en compagnie des phoques qui venaient jouer dans les vagues.

Le troisième jour, la mer était plate, c'était calme, trop calme; je me laissais envahir par la mélancolie. Assise à contempler l'horizon, seule, je me sentais trop seule, je n'avais rien à faire, j'étais triste, inactive et je ne trouvais aucune solution pour y remédier, j'étais immobile, paralysée, paralysée par la pensée. Après m'être vidée de mes émotions, ma seule échappatoire fut le sommeil. Je suis allée me coucher avant le soleil pour me reposer l'esprit, pour m'évader. C'était le seul moyen de ne pas être seule. 

Le matin quand je me suis réveillée, j'ai aperçu deux personnes dans les vagues, je les ai vite rejointes, les conditions étaient meilleures que la veille. J'ai fait la connaissance des deux surfeurs et un d'eux, Eduardo, m'a invité à les accompagner pour le déjeuner chez lui. Après quelques vagues, on a roulé jusqu'au village. Dans la voiture, ils me posaient mille questions sur mon voyage et je partageais avec eux mes dernières aventures. 

Devant la maison, un petit chien nous attendait et s'est mis à aboyer en nous voyant, sur ce, sa mère a ouvert la porte de la petite bicoque. Ed lui a expliqué la situation et très gentiment elle m'installa à la cuisine mais interdiction pour moi d'aider à quoi que ce soit. Les regarder faire me mit mal à l’aise et mon espagnol n'était pas encore assez bon pour les remercier comme j'aurais voulu. C'était la première fois que je mangeais la cassuela, une sorte de pot-au-feu à la chilienne. C'était chaud, plein de parfums et j'avais faim, alors je me suis régalée. Sa maman était heureuse qu'une gringa apprécie sa cuisine, il y avait un soupçon de fierté dans son sourire quand elle me regardait manger. Je me resservait de salade, de coriandre, de lentilles, de dessert jusqu'à ne plus pouvoir rien avaler d'autre. Après une petite sieste digestive dans le petit salon à la décoration chargée d'objets brillants, de plantes et de meubles déglingués, Ed m'a ramenée à la plage. A nouveau seule au monde.

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