Macédoine, Skopje. Rencontre avec une jeunesse politisée à l'extrême au milieu de "la révolution colorée"

par Anna Rossman Kiss · 08.07.2016

Mon déplacement de la Grèce en Macédoine marque ma sortie d’une zone de confort.

Je sombre dans un sommeil profond dans le bus qui m’emmène loin de la Grèce.

Ouvrir les yeux, changer de musique, sentir les courbatures qui s’emparent de mon corps, devenir attentive aux sons d’une langue totalement inconnue, me sentir désemparée à l’idée de quitter un pays qui m’est devenu si cher, tendre mon passeport à un inconnu, me rendormir avant de l’avoir récupéré, être réveillée par un nouveau contrôle, me rappeler que les frontières existent, passer à côté de Gevgelija, me replonger dans un sommeil profond en serrant mon passeport dans mes mains, car je ne trouve pas la force de le ranger. M’éloigner de la Grèce malgré moi. Me réveiller à Skopje trois heures plus tard. Attendre qu’on vienne me chercher à la gare, mon sac entre mes genoux, ahurie par la fatigue et les émotions.

Avec le recul, mon séjour à Skopje me paraît presque irréel. Au fil des jours qui passent, je sens un étrange réconfort à l’idée d’être en terre totalement inconnue, sans liens, sans certitudes et sans entraves, sans même comprendre les inscriptions en cyrillique.

L’atelier que je donne sur une journée est composé de jeunes professionnels ainsi que quelques amateurs. Les mêmes personnes qui chaque jour manifestent contre le gouvernement à 18 heures.

Ici, on hait Créon et on admire Antigone jusqu’aux extrême. C’est ce dont la Macédoine a besoin. de héros peut-être, de changement. Ici, les jeunes doivent se mêler de politique, car c’est cette même politique qui est responsable de l’absence de perspectives, de l’absence d’espoir. Une rencontre douce-amère avec ces jeunes qui se battent pacifiquement sans savoir si quelque chose va changer. Ils disent qu’ils sont fatigués, qu’ils en ont marre de devoir penser à la politique tout le temps. Mais ils disent aussi qu’ils n’ont pas le choix, que c’est une obsession malgré eux, car c’est leur vie, et c’est ici et maintenant que cela se joue. Ici, tout le monde veut partir et si peu le peuvent.

Alors tous les jours à 18heures, jeunes et vieux se retrouvent pour défiler dans les rues, devant les barricades et asperger de peinture colorée les monuments gigantesques du centre-ville.

Manifestation et contre-manifestation. C’est ainsi que cela va, jour après jour.

J’ai longé ces assemblés quelques fois, je me suis arrêtée pour les regarder en tentant de trouver des visages connus dans la foule. J’ai tenté d’y voir de l’espoir, de sentir le vent d’un changement, je me suis dit que tant que cela bouge, il faut tenir bon.

Souvent, en sortant le soir, je n’ai trouvé plus que les traces de peintures sur les rues, les statues, les bâtiments. La foule était déjà passée. Silence et pluie légère dans les rues de Skopje. Les échos d’une révolution.

J’ai longé ces traces. « Ainsi, c’est comme ça qu’une révolution arrive? », me suis-je demandée. avec ce silence, ce calme? C’est ça le changement?

Skopje est comme un chantier sorti de nulle part. Une ville créée de toute pièce par le gouvernement nationaliste. Partout, des plaques, des statues monumentales, de taille inhumaine. Les cavaliers armés plaqués or qui toisent les passants du haut de leur 15 mètres. 

Une ville absurde, qui n’est pas censée être accueillante, et pourtant. pourtant, j’y trouve un étrange réconfort. Une consolation dans l’anonymat de ce lieu où se mêlent bâtiments délabrés et monuments surnaturels, son vieux bazar par lequel je passe tous les soirs. je tente de régénérer assez d’énergie en moi pour continuer vers la Serbie, où je tente d’organiser mes ateliers. Pour la première fois depuis le début de mon voyage, je dors huit heures par nuit et une routine inattendue se met en place. L’espace de quelques jours.  Dehors, toujours la même pluie, le ciel jonché de nuages, transpercé de parts et d’autres par des rayons de soleil, créant une atmosphère comme sur un tableau. Un tableau que je contemple quelques jours.

Finalement, lorsque je sens qu’il est temps de me remettre en route, je prends un bus pour Belgrade. Et je laisse derrière moi la révolution colorée, les éclaboussures de peinture, le silence et le calme des couchers de soleil sous la pluie, l’atmosphère étrange de cette ville, comme une parenthèse parmi le tourbillon qu’est devenue ma vie.

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